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Rencontres, discussions et lettres précédant le Concile

Dans le courant de l’hiver 1970-1971 des informations concernant la préparation du Concile et l’élection du nouveau patriarche continuèrent à affluer à Bruxelles où je me trouvais. Ces informations, que je suivais avec intérêt, me parvenaient en partie au gré des visites à Bruxelles de différents évêques du patriarcat de Moscou et en partie par les lettres que je recevais de mes proches et de mes amis.

Ainsi, au début du mois de février, lors d’une visite à Bruxelles de l’archevêque Antoine de Minsk, nous apprîmes que des réunions de la commission préconciliaire se tenaient à Moscou sous la présidence du métropolite Pimène et que plusieurs opinions y avaient été exprimées sur les modalités de vote. « Mais rien de définitif n’a encore été décidé », nous dit l’archevêque Antoine. D’après lui, certains étaient partisans d’élections selon le modèle du concile de 1917, où l’on avait tiré au sort parmi trois candidats, eux-mêmes préalablement élus à bulletins secrets, d’autres étaient favorables à un scrutin majoritaire, que ce soit à bulletins secrets ou à main levée (les partisans de cette dernière solution semblaient l’emporter).

Quant à moi, ce qui m’intéressait, c’était la personnalité de l’archevêque Antoine. Je n’avais pas renoncé à ma quête d’un outsider qui viendrait ajouter sa candidature à celle des deux candidats officiels et je dois dire que Mgr Antoine me fit fort bonne impression cette fois-là. Je le connaissais déjà d’Uppsala, où nous avions été voisins de chambre lors de la IVe assemblée du COE en 1968 (43) et où nous avions souvent eu l’occasion de parler. C’était un homme cultivé, érudit (sa bibliothèque personnelle comportait environ sept mille volumes), aimable, à la fois observateur et plein de bon sens mais, surtout, on ne sentait en lui rien de « soviétique » ; c’était simplement un vrai russe, un moscovite. Toutefois, dans quelle mesure ces qualités convenaient-elles pour les fonctions de patriarche à ce moment précis de l’histoire de l’Église russe ? Avait-il pour cela la résistance et la force nécessaires ? Et était-il souhaité par d’autres ?

Lui-même m’avait précisé, à Uppsala, son point de vue. « J’apprécie beaucoup Mgr Hermogène, mais c’est un utopiste. Il écrit à Podgornyï (44), à Kossyguine (45), à Kouroïedov, pour démontrer que la Constitution et les lois soviétiques en matière de cultes sont violées au détriment de l’Église. Mais il ne parvient pas à comprendre qu’à défaut d’un changement radical et fondamental du régime en URSS (ce qu’on peut difficilement attendre), il ne peut y avoir aucune amélioration significative de la situation de l’Église. Nos dirigeants comprennent parfaitement eux-mêmes qu’ils violent les lois, mais ils ne sont pas disposés à modifier leur attitude envers l’Église. Les protestations de l’archevêque Hermogène ne font que les irriter, et n’apportent aucun avantage à l’Église, que du contraire ! Personnellement, j’agis autrement. je m’efforce de m’entendre avec les préposés locaux et, sans nécessité particulière, je ne me plains pas d’eux au Conseil aux affaires religieuses à Moscou. Sinon, cela entraîne plus de nuisances que d’avantages. Il faut agir petit à petit et, sur place, obtenir de petites concessions, qui s’avèrent en définitive plus importantes que les « déclarations et plaintes grandiloquentes »… J’agis de la sorte et, croyez-moi, c’est ainsi que j’ai réussi ces dernières années à ouvrir cinq paroisses. »

Il était difficile de contester ce raisonnement de Mgr Antoine, mais mes relations à Moscou le qualifiaient d’homme faible, indécis, tremblant devant les préposés ; le père Vsévolod Schpiller, notamment, ajoutait. « Nonobstant toutes ses qualités d’esprit, sa culture et son « non-soviétisme », il a un grand défaut. c’est un carriériste invétéré ! » Le père Vsévolod disait cela avec peine, car il avait été lié d’amitié avec Mgr Antoine durant de longues années, et l’avait porté aux nues de toutes les façons possibles, allant jusqu’à le qualifier d’"embellissement" de l’Église russe.

Plus tard, je me mis à observer moi-même chez Mgr Antoine, en dépit de toute son ouverture à l’égard de l’Occident et de sa culture, une certaine incompréhension des problèmes de l’orthodoxie en Europe. Ainsi, par exemple, nos théologiens parisiens, comme Nicolas Lossky (46) ou Ouspensky (47), n’étaient, pour lui, que des « érudits-fanatiques », comme il les avait qualifiés, en racontant en privé à Moscou l’un de ses voyages à l’étranger. Je me souviens que cette expression m’avait blessé. De même, il manifestait une incompréhension et une antipathie avérées (cela, je le compris plus tard) à l’égard de notre Mission orthodoxe belge (48), mais on ne peut le lui reprocher, car il n’était tout de même pas un homme « libre ». Mais alors, après sa visite à Bruxelles, je tendais à le voir comme le meilleur candidat au trône patriarcal et considérais sa personnalité comme plus indiquée que celle de Nicodème, et même de Pimène. Il n’était certes pas un homme « libre », mais c’était un proche, on pouvait parler aisément avec lui, son aménité et sa grande culture étaient fort attractives. J’ajoute qu’il était monarchiste de sentiment et manifestait du respect à la mémoire de l’empereur Nicolas II (« le Souverain », comme il disait). Dans la personnalité de Mgr Antoine, se ressentait cependant un fort dédoublement, pour ne pas dire de l’opportunisme. Il s’accommodait de l’existence du système soviétique, n’imaginait aucune forme d’opposition à celui-ci et était prêt au nom du bien de l’Église à accepter beaucoup de choses (mais pas tout, à la différence de certains autres).

Le hiérarque suivant d’URSS, que je rencontrai à cette époque, fut le métropolite Philarète de Kiev et Galicie. En mars 1971, il était de passage à Bruxelles. Il n’avait pas de visa de transit pour la Belgique et, trois heures durant, on le retint à l’aéroport sans le laisser se rendre en ville. Je profitai de ce délai pour une conversation approfondie avec lui au sujet des affaires ecclésiales. Nous nous installâmes dans un canapé, à l’écart des autres, dans les locaux de la douane aéroportuaire. Le métropolite Philarète m’apprit une nouvelle désagréable. l’élection du patriarche se tiendrait à main levée et, probablement, il n’y aurait qu’un seul candidat. le métropolite Pimène. Il me dit que c’était là la décision de la commission préconciliaire. Cette nouvelle souleva en moi une tempête d’émotions ; naturellement, je me mis à protester énergiquement et à dire au métropolite Philarète qu’une telle élection serait contestée par tous les hommes libres, que pour l’opinion publique en Occident un tel vote « à main levée » était inadmissible, et ce, sans parler des commentaires des adversaires de l’Église russe. Cette question est personnelle et fondamentale, car pour des élections libres, un vote secret est indispensable. Il faut dire que toute mon argumentation semblait, pour le métropolite Philarète, peu compréhensible.

Ce n’était pas un homme stupide, il avait une compréhension des choses claire mais limitée, sans véritable culture, en un mot, c’était un produit typique du système soviétique. Étonnamment, ces qualités ne l’empêchaient pas de s’entendre avec des gens en Occident, et même d’être particulièrement aimé et populaire dans notre paroisse patriarcale à Vienne, dont les paroissiens étaient pourtant, pour l’essentiel, des aristocrates de l’ancienne émigration. Il avait servi là trois ans en tant qu’évêque diocésain.

À mes objections en faveur d’un vote secret, il répondit. « Mais qu’est-ce qu’ils comprennent, en Occident ? Qui se soucie de leur opinion ? Ils sont de toute façon toujours contre nous ! » — « Peut-être, mais c’est justement pourquoi il ne faut pas leur donner de prétexte pour attaquer l’Église russe. Il ne faut pas se montrer esclaves du système [soviétique] », rétorquai-je.

Mais je compris que les nuances d’une procédure électorale, avec un vote secret et le choix entre plusieurs candidats, lui étaient simplement inconnues, à lui qui était habitué au système soviétique d’élections. Ensuite, notre conversation dévia vers la question des résolutions synodales de 1961 (49), en conséquence desquelles, on le sait, toute l’autorité dans les paroisses avait été de facto remise à la « vingtaine (50) » et à son organe exécutif. Qui plus est, le recteur et le clergé n’étaient pas considérés comme des membres de la paroisse et ne pouvaient être membres de cette « vingtaine », ni de l’organe administratif, qui pouvait les nommer ou les licencier selon son bon vouloir. Certes, il fallait la « bénédiction » (autrement dit, l’accord de l’évêque) pour la nomination [du clergé], mais il n’en fallait pas pour son licenciement ! La gestion administrative, économique et financière de la vie de la paroisse était tout entière aux mains de l’organe administratif et de la vingtaine (sans que le recteur ou l’évêque puissent intervenir).

La vingtaine pouvait même décider si l’église paroissiale pouvait continuer à fonctionner ou s’il fallait la fermer pour cause d’inutilité. « Nous n’avons pas besoin d’église ici » ; combien de paroisses avaient été fermées de la sorte en URSS ! Selon ces résolutions de 1961, ni l’évêque, ni le recteur ni les paroissiens, ni les uns et les autres ensemble n’avaient le droit de se mêler de ces questions.

Je demandai au métropolite Philarète si la question des résolutions de 1961 serait évoquée et sérieusement discutée au Concile.

« Oui, me dit-il, et ces résolutions seront approuvées ! »

Je n’en crus pas mes oreilles, me mis à protester, mais le métropolite Philarète déclara. « Dans tous les pays du monde, la réglementation religieuse est toujours en accord avec la législation civile et ne peut la contredire. Chez vous en Belgique, les statuts de votre archevêché sont aussi conformes à la législation belge », insista-t-il.

— « Sans doute, répondis-je, et ils sont même confirmés par un arrêté (décret) royal (51). Mais la différence avec l’URSS est énorme. la législation belge permet aux Églises et organisations religieuses une complète liberté d’organisation interne, conformément à leurs principes religieux. La législation belge ne contient rien qui porte atteinte à l’organisation canonique de notre Église orthodoxe. Bien plus, si nous le voulions, nous pourrions même ne pas nous faire enregistrer et ne pas organiser officiellement notre vie religieuse. Mais ce ne serait pas avantageux, du point de vue des droits civils. La législation soviétique relative aux cultes, d’où découlent les résolutions de 1961, elle, enfreint les fondements de l’organisation canonique de l’Église orthodoxe ! »

Durant notre conversation, je compris soudain que le métropolite Philarète était incapable de saisir les finesses juridiques et la différence entre les législations. Qui plus est, il me regardait avec méfiance et l’on voyait à son expression qu’il ne me croyait guère, comme si je lui mentais.

« Les résolutions de la commission préconciliaire sont-elles définitives ou pourront-elles être révisées par le Concile ? », demandai-je. — « Oui, bien sûr, si le Concile souhaite les revoir, il pourra le faire, mais pourquoi ? », répondit avec indécision le métropolite Philarète. — « Et comment comprendre cette « candidature unique » ? Sera-t-il vraiment interdit de voter pour quelqu’un d’autre ? », m’intéressai-je. — « Si quelqu’un le souhaite, il pourra le faire… mais s’il y aura une candidature unique, il est peu probable que quelqu’un agisse ainsi, pour ne pas briser l’unité de l’Église. »

Ma conversation avec le métropolite Philarète me laissa une impression amère et désagréable. Je continuai à espérer que la commission préconciliaire n’avait pas encore adopté ses résolutions. Mais mes espoirs furent déçus, car je reçus rapidement des documents officiels, et une lettre du métropolite Pimène — locum tenens patriarcal — datée du 16 mars, me communiquait ce qui suit (je ne reproduis pas la lettre dans son intégralité, mais seulement les passages les plus importants) :

Le concile local, conformément aux décisions du Saint-Synode du 25 juin 1970 et de la commission préconciliaire du 10 novembre 1970, se tiendra en la Laure de la Trinité-Saint-Serge, du 30 mai au 2 juin 1971. Conformément au programme annexé à la présente, toutes les solennités s’achèveront le 6 juin.

En informant Votre Éminence, nous vous invitons fraternellement, par la présente, ainsi qu’un clerc de Belgique et un laïc des Pays-Bas (ou un clerc des Pays-Bas et un laïc de Belgique) (52) à vous rendre à Moscou pour participer au concile local. Pour information, nous vous signalons que l’évêque Denys de Rotterdam (53) a également été invité à participer au Concile. Nous joignons à la présente une information au sujet des réunions tenues par la commission préconciliaire.

Dans les documents annexes, il était indiqué que la commission préconciliaire avait, lors de sa réunion du 10 février, adopté la résolution suivante :

Considérant l’ancienne pratique de l’Église orthodoxe russe, et attendu que, lors de sa réunion du 10 novembre 1970, la commission préconciliaire a résolu de recommander aux groupes de travail de s’inspirer, dans le cadre de la préparation du concile de 1971, des pratiques et de l’expérience du concile de 1945, estimer que la procédure de l’élection du patriarche de Moscou et de toutes les Russies au concile local de 1971 devait avoir lieu à main levée, selon la forme adoptée au concile de 1945.

Quelques jours après, je reçus un nouveau document, signé par le métropolite Alexis de Tallin et d’Estonie, vice-président de la commission préconciliaire préparatoire.

Lors de sa réunion ordinaire du 24 mars 1971, la commission préparatoire au concile local de l’Église orthodoxe russe a adopté les résolutions suivantes :

1. Des réunions du clergé et des fidèles doivent se tenir, après les fêtes de Pâques, dans tous les diocèses de l’Église orthodoxe russe, en vue de l’élection des membres du concile local et de la discussion d’autres questions.

Les comptes rendus de ces réunions avec les noms des représentants du clergé et des fidèles élus membres du Concile doivent être adressés à la commission préconciliaire au plus tard le 10 mai de cette année.

2. Le concile local sera précédé d’une assemblée épiscopale qui discutera des questions liées à la tenue du concile local.

Ensuite, l’on indiquait que la commission préconciliaire avait pris connaissance de l’information suivante :

1. De nombreux évêques diocésains se sont adressés à la commission préconciliaire en proposant un candidat unique à l’élection de primat de notre Église en la personne de Son Éminence le métropolite Pimène de Kroutitsy et Kolomna, locum tenens patriarcal. Tous ceux qui ont soumis cette demande sont fermement convaincus qu’en tant que plus proche collaborateur de Sa Sainteté le défunt patriarche Alexis, il sera un digne successeur de celui-ci et un continuateur de son œuvre au trône primatial.

2. De telles propositions écrites ont été reçues par la commission préconciliaire de la part de membres permanents du Saint-Synode. leurs Éminences les métropolites Nicodème de Leningrad, Philarète de Kiev et Alexis de Tallin ;

de la part des métropolites Palladius d’Orel (54), Joseph d’Alma-Ata et Jean d’Iaroslavl (55);

de la part des archevêques Job d’Oufa (56), Palladius de Jitomir (57), Jean de Pskov (58), Michel de Kazan (59), Innocent de Kalinine (60), Michel de Voronège (61), Joseph d’Ivano-Frankovsk (62), Flavien de Gorki (63), Serge d’Odessa (64), Séraphim de Koursk (65), Antoine de Vilnius (66) ;

et de la part des évêques Léonce d’Orenbourg (67), Nicolas de Vladimir (68), Bartholomée de Kichinev (69), Vladimir de Tchernigov (70), Gédéon de Smolensk (71), Platon de Samarkand (72).

3. La commission préconciliaire reçoit, de la part de nombreux évêques, membres du clergé, organes exécutifs et simples fidèles de différents diocèses de notre patrie, des lettres argumentées, soutenant les résolutions du concile épiscopal de 1961 et proposant de les ratifier au concile local de 1971. Et de telles propositions à ce sujet continuent à arriver.

Si je reproduis, ici, ces deux lettres de manière aussi détaillée, c’est parce que, dans le Journal du patriarcat de Moscou, les résolutions de la commission préconciliaire des 10 février et 24 mars sont à ce point résumées qu’il est impossible de comprendre ce qui a été réellement decide (73). Dans le compte rendu de la réunion du 10 février, le paragraphe relatif au vote à main levée a purement et simplement été omis. Manifestement, l’on ne souhaitait pas que le contenu de ces résolutions soit largement connu à l’avance.

La première information, relative au vote à main levée, m’a profondément affligé, mais la deuxième, celle portant sur une « candidature unique » et l’approbation des décrets illégaux de 1961 au sujet des paroisses, m’a stupéfait et rempli d’indignation. C’est comme si une bombe avait explosé sous mes pieds ou qu’on m’avait donné un soufflet. Jusque là, je m’étais tu et n’étais pas intervenu dans le travail de la commission préconciliaire, étant donné que je n’en étais pas membre, et que nul ne me demandait mon avis. Mais là, je décidai de m’exprimer ouvertement et par écrit, d’autant qu’à en croire ces « déclarations », de nombreux hiérarques, clercs et fidèles, s’étaient déjà exprimés et avaient unanimement soutenu le vote à main levée et la candidature unique. J’étais indigné contre ces hiérarques, les considérant, sinon comme des traîtres, du moins comme des conformistes, et me réjouissais de ne pas rencontrer parmi les signataires les noms de personnes que je respectais et appréciais, comme Antoine de Minsk, Paul de Novossibirsk, Léonide de Riga, etc.

Quoi qu’il en soit, je décidai d’adresser au métropolite Nicodème une lettre au contenu suivant :

À Son Éminence
Monseigneur Nicodème,
Métropolite de Léningrad et Novgorod,
Président du Département des relations extérieures du patriarcat de Moscou

Bruxelles, le 19 avril 1971.

Le Christ est ressuscité (74) !

Je vous informe que j’ai bien reçu la lettre de Son Éminence le métropolite Pimène de Kroutisty et Kolomna, locum tenens patriarcal, datée du 6 mars 1971 (n° 422), à laquelle était annexée une information au sujet du travail de la commission préconciliaire préparatoire.

Aujourd’hui, j’ai reçu en complément une lettre de Mgr Juvénal, datée du 12 avril 1971 (n° 601), contenant des informations supplémentaires au sujet de la réunion du 24 mars de ladite commission, sous la signature de Son Éminence le métropolite Alexis.

À propos des éléments communiqués dans le cadre de ces informations, je me dois de vous exposer mon point de vue.

1. Je salue la décision de tenir une assemblée épiscopale avant l’ouverture du concile local. J’espère fermement qu’y participeront tous les évêques diocésains de l’Église orthodoxe russe, y compris ceux qui résident à l’étranger.

Je demande que les invitations à l’assemblée épiscopale soient envoyées à temps en vue d’obtenir les visas nécessaires. De même, je demande que la date précise du début des travaux de l’assemblée nous soit communiquée, dès qu’elle sera connue.

2. Je dois dire que je ne puis marquer mon accord sur la résolution adoptée par la commission préconciliaire au sujet de l’élection du patriarche par vote « à main levée », car ce vote est par essence personnel, et que seul un vote à bulletins secrets peut garantir une réelle liberté de choix. Seul un vote à bulletins secrets confèrera à l’élection du patriarche un caractère irréprochable. Les arguments avancés en vue d’un vote à main levée ne me paraissent pas convaincants. Je n’estime pas devoir les développer en détail maintenant, étant donné que la résolution adoptée par la commission préconciliaire au sujet d’un vote à main levée ne constitue qu’une proposition, que le concile local, en tant qu’autorité administrative et spirituelle suprême de l’Église russe, pourra adopter, rejeter ou modifier.

Il appartient au concile local de se prononcer en dernière instance sur le type d’élection du patriarche (vote à main levée ou à bulletins secrets).

3. Encore moins acceptable m’apparaît la proposition, faite par un groupe d’évêques, de ne proposer qu’une seule candidature au trône patriarcal en la personne du métropolite Pimène. Nous respectons profondément et aimons sincèrement Son Éminence le locum tenens, apprécions hautement ses mérites devant l’Église russe, le considérons comme un digne candidat au trône patriarcal, mais limiter l’élection du prochain patriarche à une seule personnalité est, pour moi, parfaitement intolérable. L’élection se transformera en une pure formalité, et il ne servira à rien de convoquer le Concile pour cette fiction. Bien plus, je considère que ce système de candidature unique est blessant et humiliant, tant pour les membres du Concile (obligés de voter contre leur propre volonté, s’ils ne sont pas d’accord avec la candidature proposée) que pour le candidat lui-même. Car il ne serait pas élu en fonction de ses qualités propres, mais en raison du fait qu’il sera impossible de voter pour quelqu’un d’autre.

4. On ne peut que saluer le fait que les décisions de ce qu’on appelle le « concile épiscopal » de 1961 soient soumises à l’examen du prochain concile local. Mais pas seulement dans le sens de leur « soutien » et « confirmation », comme le proposent certains. Il faut, au contraire, les réexaminer d’un œil critique, les corriger et même les annuler partiellement, afin de les mettre en accord avec l’ordre canonique de l’Église orthodoxe russe et les exigences de la vie de l’Église. Je me permets de rappeler que l’obligation d’examiner les dispositions de 1961 au prochain concile local avait été reconnue par les participants mêmes de l’assemblée de 1961.

5. Enfin, le Concile doit réexaminer la décision du Saint-Synode du 16 décembre 1969 qui permet d’accorder les sacrements de l’Église orthodoxe (et notamment celui de la sainte communion) aux catholiques-romains. Par son ambiguïté, elle a créé de nombreuses confusions dans l’esprit des fidèles orthodoxes et a permis aux autres Églises autocéphales d’attaquer violemment l’Église orthodoxe russe, ce qui a grandement affecté son bon renom.

6. C’est pourquoi, j’estime indispensable de réexaminer et de préciser, au prochain concile local, cette décision synodale, en vue de préserver le pureté de l’orthodoxie et d’éviter à notre Église les attaques de ses adversaires.

Voilà, en résumé, ce que j’ai considéré de mon devoir épiscopal d’écrire à Votre Éminence en réponse aux documents d’informations reçus du Département des relations extérieures à propos du prochain concile local. Je vous demande de faire part des idées, points de vue et convictions que j’ai exprimés dans cette lettre aux membres de la commission préparatoire et aux membres du Saint-Synode, dont Son Éminence le locum tenens patriarcal au premier chef. Avec l’aide de Dieu, je compte m’en tenir à ces convictions lors du Concile également.

En demandant vos saintes et fraternelles prières, je vous assure de mon affection dans le Seigneur ressuscité,

Basile, archevêque
de Bruxelles et de Belgique

Dans ma lettre, j’avais demandé au métropolite Nicodème d’en porter le contenu à la connaissance du métropolite Pimène et des membres de la commission préconciliaire. Néanmoins, sachant que de telles lettres étaient souvent arrêtées au Département des relations extérieures et n’allaient pas plus loin, j’en envoyai des copies au locum tenens patriarcal, aux archevêques Antoine de Minsk, Paul de Novossibirsk, Léonide de Riga et Pimène de Saratov (75). Bien que j’aie envoyé toutes ces lettres en recommandé, je ne reçus aucune réponse écrite ; au Concile, cependant, j’appris que tous les destinataires les avaient reçues. Je considérai également de mon devoir d’adresser copie de ma lettre à notre exarque le métropolite Antoine (76), à l’évêque Pierre de Chersonèse (77) et à l’évêque Denys de Rotterdam. Sachant, en outre, que des représentants de l’Église orthodoxe d’Amérique seront présents au Concile, j’en envoyai également une copie à l’archevêque Jean (Schakhowskoy) de San-Francisco (78). De tous ceux qui résidaient en Occident, je reçus des réponses qui approuvaient et soutenaient ma lettre au métropolite Nicodème.


  1. Assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises, Uppsala (Suède), 4-19 juillet 1968.
  2. Nicolas Victorovitch Podgornyi (1903-1983), apparatchik soviétique, président du Présidium du Soviet suprême de l’URSS (chef d’État nominal) (1965-77).
  3. Alexis Nicolaïevitch Kossygine (1904-1980), apparatchik soviétique, premier ministre d’URSS (1964-80).
  4. Nicolas Lossky (né en 1929), prêtre et théologien orthodoxe russe à Paris. Professeur à l’université de Paris X-Nanterre et à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge de Paris.
  5. Léonide Ouspensky (1902-1987), laïc orthodoxe russe à Paris, iconographe et théologien de l’icône renommé.
  6. Voir Père Serge MODEL, « Une page méconnue de l’histoire de l’orthodoxie en Occident. la Mission orthodoxe belge (1963-1987) », Irénikon, revue des moines de Chevetogne, op. cit.
  7. Modifications apportées au Règlement de 1945 par l’assemblée épiscopale de juillet 1961 (qui approuva les résolutions du Saint-Synode à ce sujet). Texte français dans N. STRUVE, Les Chrétiens en URSS, op. cit., p. 388-390.
  8. Vingtaine de laïcs, nommés sous le contrôle des autorités soviétiques, qui constitue le conseil paroissial et prend toutes les décisions relatives à la gestion de la paroisse, le prêtre n’ayant d’autre possibilité qu’obéir à ces décisions.
  9. Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 66.
  10. Finalement, ce seront un clerc et un laïc de Belgique qui accompagneront Mgr Basile au concile (NdR).
  11. Mgr Denys (Loukine, 1911-1976), prélat orthodoxe russe aux Pays-Bas. Évêque de Rotterdam, auxiliaire de l’archevêque Basile de Bruxelles (1966-72).
  12. Mgr Palladius (Cherstennikov, 1895-1976), prélat orthodoxe russe. Évêque (1930), archevêque (1947), archevêque d’Orel et Briansk (1963), métropolite (1968).
  13. Mgr Jean (Wenland, 1909-1989), prélat orthodoxe russe. Évêque (1959), archevêque (1961), métropolite (1963), métropolite de Iaroslavl et Rostov.
  14. Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 62.
  15. Mgr Palladius (Kaminski, 1896-1978), prélat orthodoxe russe. Évêque (1947), archevêque (1956), archevêque de Jitomir (1968).
  16. Mgr Jean (Razoumov, 1898-1990), prélat orthodoxe russe. Évêque (1953), évêque de Pskov (1954), archevêque (1962), métropolite (1972).
  17. Mgr Michel (Voskressenski, 1896-1976), prélat orthodoxe russe. Évêque (1953), évêque de Kazan (1960), archevêque (1963), archevêque d’Oufa (1967).
  18. Mgr Innocent (Leoferov, 1890-1971), prélat orthodoxe russe. Évêque (1953), archevêque (1958), archevêque de Kalinine et Kachine (1960).
  19. Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 32.
  20. Mgr Joseph (Savrach, 1904-1984), prélat orthodoxe russe. Évêque d’Ivano-Frankovsk (1957), archevêque (1965).
  21. Mgr Flavien (Dimitriiouk, 1894-1977), prélat orthodoxe russe. Évêque (1958), archevêque de Gorki et Arzamas (1967).
  22. Mgr Serge (Petrov, 1924-1990), prélat orthodoxe russe. Évêque (1960), archevêque (1963) archevêque d’Odessa (1965), métropolite (1971).
  23. Voir « Chapitre 2. Le métropolite Nicodème (Rotov) », n. 89.
  24. Mgr Antoine (Varjansky, 1890-1971), prélat orthodoxe russe. Évêque de Vilnius et de Lituanie (1963), archevêque (1963).
  25. Mgr Léonce (Bondar, 1913-1971), prélat orthodoxe russe. Évêque (1956), évêque d’Orenbourg (1963), archevêque (1971).
  26. Mgr Nicolas (Koutiepov, 1924-2001), prélat orthodoxe russe. Évêque (1961), évêque de Vladimir (1970), archevêque (1972), métropolite (1991).
  27. Mgr Bartholomée (Gondarovski, 1927-1988), prélat orthodoxe russe. Évêque (1963), évêque de Kichinev et Moldavie (1969), archevêque de Tachkent et d’Asie centrale (1973).
  28. Mgr Vladimir (Sabodan, né en 1935), prélat orthodoxe russe. Évêque (1968), évêque de Tchernigov (1969), archevêque (1973), métropolite de Kiev, primat de l’Église orthodoxe d’Ukraine (1992).
  29. Mgr Gédéon (Dokounine, 1929-2003), prélat orthodoxe russe. Évêque de Smolensk (1967), archevêque (1977), métropolite (1987).
  30. Mgr Platon (Lobankov, 1927-1975), prélat orthodoxe russe. Évêque (1970) évêque de Samarkand (1971), de Voronège (1972).
  31. Journal du patriarcat de Moscou, n° 3 (1971), p. 1, 4.
  32. Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 77.
  33. Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 50.
  34. Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 40.
  35. Voir « Chapitre 2. Le métropolite Nicodème (Rotov) », n. 42.
  36. Mgr Jean (Schakhowskoy, 1902-1989), prélat orthodoxe d’origine russe et écrivain religieux. Évêque aux États-Unis (1950), évêque de San-Francisco et d’Amérique de l’Ouest (1950), archevêque (1961).