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Krivochéine, Basile. Notice biographique

KRIVOCHEINE, Vsévolod (en religion Basile), ecclésiastique orthodoxe russe, écrivain et théologien, figure du mouvement « œcuménique », évêque en Belgique, né à Saint-Pétersbourg le 30 juillet 1900, y décédé le 22 septembre 1985.

Reconnue par l’État belge comme culte officiel en 1985, l’Église orthodoxe est présente sur notre territoire depuis 1862, date de l’ouverture d’une première chapelle près l’ambassade de Russie à Bruxelles. Depuis lors, diverses personnalités ont marqué l’histoire de ce culte dans notre pays, au premier plan desquelles Mgr Basile Krivochéine.

Issu d’une famille éminente de la Russie impériale (son père fut ministre de Nicolas II puis Premier ministre du gouvernement « blanc » du général Wrangel en Crimée), Vsévolod Krivochéine entama des études de philologie et d’histoire aux facultés de sa ville natale puis de Moscou. La révolution d’octobre 1917 l’amena à s’engager en 1919 dans les armées « blanches » (il publiera plus tard ses souvenirs sur le sujet), avec lesquelles il fut évacué en 1920 vers la France, où il acheva une licence de lettres à la Sorbonne et s’inscrivit à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge de Paris. En 1925, cependant, il décida de devenir moine au Mont Athos, « république monastique » du nord de la Grèce et haut-lieu de la spiritualité orthodoxe depuis un millénaire.

Ayant prononcé ses vœux — sous le nom de Basile — au monastère de Saint-Panteleïmon (le monastère russe du Mont Athos), il y demeurera 22 ans, dans l’ascèse, la prière et le travail, notamment administratif. il occupera ainsi les fonctions de secrétaire et de membre du conseil de son monastère, qu’il représentera également auprès du « gouvernement » du Mont Athos. Mais il se consacra surtout à la théologie orthodoxe, en particulier la patrologie. dès 1936, il publiera (à Prague) une étude sur La doctrine ascétique et théologique de saint Grégoire Palamas (moine byzantin du XIVe siècle) qui, traduite en plusieurs langues, impressionnera le monde scientifique européen. On lui devra également, dès cette époque, des recensions d’ouvrages, notamment pour la revue (belge) d’études byzantines Byzantion.

Après la Seconde Guerre mondiale cependant, le contexte politique de la guerre civile grecque obligea de nombreux moines russes à quitter le Mont Athos ; ce sera aussi le sort de Basile Krivochéine en 1947. Invité à participer au Dictionnaire de la langue grecque patristique, édité à Oxford par le professeur Lampe, il s’installa dans cette ville, où il fut ordonné prêtre (dans la juridiction du patriarcat de Moscou) le 22 mai 1951.

L’Église orthodoxe russe s’était en effet scindée, dans l’émigration, en trois groupes ou juridictions indépendantes voire antagonistes. le synode « hors-frontières » (ou « à l’étranger »), attaché à l’héritage de l’ancien régime, l’archevêché d’Europe occidentale, rapidement affilié au patriarcat de Constantinople, et les communautés du patriarcat de Moscou, alors sous contrôle du pouvoir soviétique. C’est à cette dernière obédience que s’était néanmoins rattaché le père Basile, par désir de communion avec l’Eglise-mère et de lien direct avec la Russie et son peuple.

A Oxford, le père Basile Krivochéine poursuivit ses travaux sur la spiritualité, la patrologie ou la liturgie orthodoxes, publiant dans des revues comme les Orientalia Christiana Periodica (Rome), le Messager de l’Exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale (Paris), The Christian East (Londres), Grigorios Palamas (Thessalonique) ou les Ostkirchliche Studien (Würzburg), participant aux congrès internationaux de patrologie (Oxford 1951, 1955, 1959), de byzantinologie (Thessalonique 1953, Munich 1958) et au dialogue théologique avec les Anglicans. L’œuvre majeure de son séjour en Grande-Bretagne fut cependant son édition critique des écrits de saint Syméon le Nouveau Théologien, mystique byzantin du XIe siècle. Ce travail sera édité (en 3 volumes) en 1963-65 dans la collection patristique française Sources Chrétiennes. Il devait le parachever en publiant, en 1980, une brillante biographie de saint Syméon (Dans la lumière du Christ. St Syméon le Nouveau théologien. Vie, doctrine, écrits, éditions du monastère de Chevetogne).

Remarqué par les autorités de son Église, le père Basile fut bientôt appelé à l’épiscopat. Sacré évêque le 14 juin 1959, il fut nommé en 1960 à Bruxelles, à la tête du petit diocèse du patriarcat de Moscou en Belgique. Issu de la première chapelle orthodoxe dans le pays, ce diocèse réunissait les paroisses créées dans différentes villes de Belgique par les émigrés russes arrivés après la révolution de 1917. Un premier évêque s’était installé à Bruxelles en 1929, et le diocèse avait été reconnu comme établissement d’utilité publique par arrêté royal en 1937.

Dès sa nomination à Bruxelles, Mgr Basile (élevé au rang d’archevêque le 21 juillet 1960) prit une part active au développement de l’Eglise orthodoxe en Belgique, contribuant à transformer cette « communauté d’émigrés » en Eglise « locale », qui sera reconnue comme culte officiel par la loi du 15 avril 1985. La création, sous l’égide de l’archevêque russe (naturalisé belge en 1978) des premières paroisses orthodoxes dans nos langues nationales, sa participation aux congrès « inter-orthodoxes » sur notre territoire (Bruges-Male 1972; Natoye 1977; Gand 1983) et surtout sa présentation, à travers d’innombrables conférences ou articles — non seulement dans des revues spécialisées comme le Journal du Patriarcat de Moscou (Moscou), Irénikon (Chevetogne), Studia Patristica (Berlin) ou le St Vladimir’s Theological Quarterly (New York), mais aussi dans La Libre Belgique ou le mensuel catholique flamand De Maand — de divers aspects du christianisme orthodoxe à des publics variés, intéressés par l’œcuménisme dans le sillage du concile Vatican II, n’y seront pas étrangères.

Ferme dans la foi orthodoxe, mais ouvert à l’Occident chrétien, Mgr Basile s’était en effet, très tôt, impliqué dans le mouvement œcuménique, tant au niveau local (membre du Comité national belge pour l’œcuménisme, cofondateur du Comité interecclésial de Bruxelles, participant de la semaine annuelle de prière pour l’unité des chrétiens, ami personnel du cardinal Suenens ou de Jean Daniélou) qu’international (participant à la commission Foi et Constitution du Conseil Œcuménique des Églises — COE — à Montréal en 1963 et à l’assemblée mondiale du COE à Uppsala en 1968, membre des commissions de dialogue théologique avec les Anglicans ou les Vieux-Catholiques, représentant de son Eglise lors des visites du pape Jean-Paul II à Paris en 1980 et Malines en 1985).

Reconnu internationalement comme un théologien de haut niveau (un doctorat en théologie lui avait été attribué en 1964, pour l’ensemble de ses travaux, par l’école de théologie de sa ville natale), l’archevêque Basile représenta également son Église lors des réunions pan-orthodoxes (comme les conférences « pré-conciliaires » de Rhodes 1961, 1963 et 1964 et Chambésy-Genève 1968, dont il rédigera des comptes-rendus détaillés pour diverses revues), et prit part aux assemblées de l’épiscopat russe, comme le concile de Moscou de 1971 qui élut le patriarche Pimène (Izvekov, décdé en 1990).

Érudit de renom, membre de nombreuses sociétés savantes (dont la « Société belge d’études byzantines »), rédacteur en chef de la revue du patriarcat de Moscou en Europe occidentale, intervenant régulier des colloques œcuméniques du monastère de Chevetogne ou des « semaines liturgiques » de l’Institut Saint-Serge de Paris, Mgr Basile était également un homme engagé dans la défense des droits de l’homme. Observateur attentif de la vie religieuse dans son pays d’origine, il élèvera régulièrement la voix pour défendre les croyants persécutés par le régime soviétique (notamment l’écrivain Soljénitsyne en 1974 ou les prêtres Dimitri Doudko et Gleb Yakounine en 1980).

Il décéda le 22 septembre 1985, durant un voyage en Russie, et fut enterré dans sa ville natale. En Belgique et en Europe, des cérémonies et différentes publications saluent sa mémoire.


Son Excellence Monseigneur Basile, Archevêque de Bruxelles et de Belgique. note biographique à l’occasion de son 80e anniversaire, dans Messager de l’Exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, n°105-108, Paris, décembre 1980-janvier 1981, p. 3. — B. Bobrinskoy, In memoriam Archevêque Basile de Bruxelles, dans Le Messager orthodoxe, revue de pensée et d’action orthodoxe, n°100, Paris, 1985, p. 88-89. — Fabien Deleclos, Rencontre avec l’archevêque russe Basile Krivochéine, dans La Libre Belgique, 26-27 février 1980, p. 28. — B. Krivochéine, Vospominanija. Pis’ma. [Mémoires. Correspondance], Nijni-Novgorod, éd. de la Fraternité St Alexandre Nevski, 1998. — Tserkov’ Vladyki Vassilja [L’Eglise de Mgr Basile], Nijni-Novgorod, éd. de la Fraternité de St Alexandre Nevski, 2004. — N. Krivochéïne, Les quatre tiers d’une vie, Paris, Albin Michel, 1987. — N. Lossky, Son Eminence Monseigneur Basile, archevêque de Bruxelles et de Belgique. in memoriam, dans Messager de l’Exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, n°115, Paris, 1987, p. 43-44. — S. Model, Histoire de l’Archevêché orthodoxe russe de Bruxelles et de Belgique, Bruxelles, éd. de la Paroisse orthodoxe de la Protection de la Ste Vierge, 1996. — S. Model, L’Église orthodoxe en Belgique. hier, aujourd’hui, demain, dans Le Messager orthodoxe, revue de pensée et d’action orthodoxe, n°138-I, Paris, 2003, p. 68-83 — S. Model, Un évêque russe en Belgique. Mgr Basile Krivochéine (1900-1985), dans Bulletin de la Fondation pour la préservation du patrimoine russe dans l’Union européenne, n°2, Bruxelles, novembre 2005. — S. Model, L’Église orthodoxe en Belgique et au Luxembourg, dans C. Chaillot (dir.), Histoire de l’Église orthodoxe en Europe occidentale au 20e siècle, Paris, éd. Dialogue entre orthodoxes, 2005. — S. Model, Les églises orthodoxes russes en Belgique, dans W. Coudenys (éd.), « Culturen in contact. Russen in België » (23 november 2005), Contactforum, éd. Koninklijke Vlaamse Academie van België voor Wetenschappen en Kunsten, Bruxelles, 2006, p. 59-73. — A. Musin, L’Église russe en Belgique et son évêque. la signification de l’œuvre de l’archevêque Basile Krivochéine (1900-1985) de Belgique pour le dialogue européen aujourd’hui, dans Irénikon, revue des moines de Chevetogne, vol. 76, n°2-3, Chevetogne, 2003, p. 218-239. — E. Voordeckers, In memoriam Basile Krivochéine (1900-1985), dans Byzantion, Revue internationale des études byzantines, t. LVI, Bruxelles, 1986, pp. 5-15. — In memoriam Mgr Basile Krivochéine (1900-1985), dans Contacts, revue française de l’Orthodoxie, n°215, Paris, juillet-septembre 2006, p. 279-374 — Un évêque-théologien, Mgr Basile Krivochéine, dans Messager de l’Eglise orthodoxe russe, n°15, mai-juin 2009, p. 6-32.