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LETTRES A DOM PLACIDE DE MEESTER

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Mont Athos, le 9/22 Novembre 1932

Mon Révérend et cher Père !

Je vous remercie de tout mon cœur pour le don de 200 livres italiennes que vous aviez eu la bonté d’envoyer à notre Monastère pour les dégâts causés par le tremblement de terre de Septembre (1). J’ai transmis cette somme à notre Supérieur, l’Archimandrite Missaël, qui m’a prié de vous exprimer sa reconnaissance de la part de toute la confrérie.

Le tremblement de terre, quoique faible, continue toujours, voilà presque deux mois. Chaque jour nous sentons plusieurs secousses souvent accompagnées d’un grondement souterrain. Mais grâce à Dieu, ces tremblements ne sont plus forts. Une commission d’ingénieurs venue à Mont Athos sur la prière de la Ste Koinotis (2) a déterminé les dégâts causés aux Monastères par le tremblement de terre dans la somme de  25-30 millions de drachmes. Dans notre Monastère les dégâts s’élèvent à un million (sans compter les dépendances où les destructions furent bien plus grandes). Le plus mauvais est que selon l’opinion des ingénieurs nos églises ne pourraient pas résister à un nouveau coup de tremblement de terre (de la même force que celui du 27 septembre). Il faudrait entreprendre des réparations capitales pour prévenir la possibilité de la catastrophe. Malheureusement cette chose nous est impossible vu notre situation financière.

[p. 2] Je tacherai maintenant de répondre à vos questions.

1) Je crois que tous les skites du Mont Athos doivent avoir leur canonismes intérieurs (3), mais aucun d’entre eux ne fût publié. Tous les skites existent sur la base d’un sigillon du Patriarcat (voir art. 143 du Kat. Chartês (4)). La plupart de ces sigilla furent publiés dans. Arch. DELIKANE Kallinikou. Perigraphikos katalogos tôn en tois kôdexi tou patriarchikou archeiophylakeiou… engraphôn peri tôn en Athô monôn 1630-1863. En K/polei, 1902.
Les cellules vivent sur la base des homologia conclus avec les Monastères. Pour leur situation générale voir Patriarchikon Sygillion peri tou Kelliôtikou zêtêmatos ekdothen epi… IOAKEIM III (5) en K/polei, 1907 (6). Il n’existe pas de canonismes spéciaux réglant la vie intérieure des celliotes ou des solitaires. Leur situation générale est déterminée (en dehors des documents cités plus haut) par les articles relatifs du Kat. Chartês. Il faut seulement avoir en vue que les traditions non écrites et, en général, les habitudes ont en réalité une importance bien plus grande que toutes les lois écrites sur le papier.

2) Je ne comprends pas bien l’expression « quitter le noviciat » – est-ce que cela veut dire « devenir moine » ? Si oui, un novice peut devenir rasophoros ou tout de suite mikro-schêmos et même megaloschêmos. Vous savez que S. Théodore Studite ne reconnaissait pas les états de rasophoros ou mikroschêmos et prescrivait dans son typicon que les novices après une épreuve de 3 ans deviennent megaloschêmos ou bien retournent dans le monde. Cet ordre est observé jusqu’à maintenant par la plupart des cénobes (7) grecs de l’Athos et surtout par les skites grecs. Les autres monastères (le nôtre dans ce nombre) font passer [p. 3] leurs moines par tous les grades consécutivement. Nous nous basons dans cette pratique sur 1) les données de l’expérience ; 2) le typicon de S. Athanase de l’Athos, qui diffère sur ce point de celui de S. Théodore. Dans notre Monastère on devient 1) rasophoros après 2-4 ans ; mikroschêmos après 2-5 ans plus tard ; 3) megaloschêmos après 25-30 ans de vie monastique. Cette règle est sujette aux exceptions nombreuses et sensibles (on prend en vue le caractère de la personne, son éducation, son état de santé, etc.).

3) La vie idiorytmique commence à s’introduire à M. Athos au 15 siècle, mais c’est surtout après la conquête turque qu’elle s’est répandue partout (16-18 s.). Sur la vie idiorytmique [il] existe une brochure intéressante d’Eulogios Kourilas Lauriôtis, Monachologia. Peri tou en Athô koinoviou. Athènes, 1931 (réimpression de l’ouvrage collectif en honneur de Monseigneur Chrysostome, archevêque d’Athènes, et qui s’appelle « Enaisima »).

Questions liturgiques.

1) Ê proagiasmenê (8). — Quand on chante Kateuthynthêtô (9) — les Grecs restent debout, les Russes (dans notre Monastère) se mettent à genoux. Cet usage n’est pas tout à fait correct. il faudrait au lieu de se mettre à genoux rester prosterné à terre quand le chœur du côté (kliros) où se trouve le moine chante et se lever quand chante le chœur de l’autre kliros. Il faut noter que l’usage de prier à genoux est inconnu à l’Eglise Orthodoxe et considéré comme un » latinisme «. Il s’est introduit en Russie au 18-19e siècles, ensemble avec le chant italien, et les Russes (surtout dans les classes supérieures) s’y sont habitués. Dans le peuple [p. 4] et parmi les autres nations orthodoxes cet usage est presque inconnu. Le dernier temps (depuis la fin du 19e s.) une campagne fût menée contre cet usage au nom de la pureté du rite orthodoxe (voir les articles du Métropolite Antonij(10) de Kiev). Au lieu de se tenir à genoux, les orthodoxes ont l’usage de faire des prosternations.

2) Dans notre Monastère, la confession est faite ou bien dans une chapelle spéciale (parekklêsion) ou bien dans une chambre faite spécialement pour ceci dans la grande Eglise. Parfois on l’a fait dans le sanctuaire. On peut la faire même dans la chambre du père qui confesse. Tout ceci n’a aucune importance dogmatique. Pendant la confession on reste généralement à genoux (j’ai peur que ce soit aussi un « latinisme » et ma conscience n’est pas tout à fait tranquille !). Pendant la lecture des prières synchôritikê (razrešitel’naja)(11) on reste prosterné.

3) Après la mort d’un moine jusqu’au commencement de l’office d’enterrement, on lit le psautier dans la chapelle où se trouve le mort. On n’enterre pas un moine sans faire une liturgie spéciale (zaupokojnaja) pour lui. Il existe un office spécial pour l’enterrement 1) d’un moine ; 2) d’un hiéromoine ; 3) d’un évêque. Quand il s’agit de l’abbé du Monastère on fait une agrypnia (12) spéciale (celle des défunts) avant son enterrement.

Je ne vous ai pas encore envoyé la ceinture de cuir parce que les moines russes ne portent pas cet ornement et je n’en possède pas. Je tacherai de me la procurer.

Pardonnez-moi mon long silence. J’étais très occupé par un travail important que j’ai terminé seulement hier.

Votre bien dévoué,
moine Basile.

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Mont Athos, le 17/30 juin 1933

Mon Révérend Père Placide de Meester,

J’ai été très content d’apprendre que la brochure du Prof. Soloviev (13) vous a fait une bonne impression. Ce petit livre est très bien fait ; quoiqu’il n’y a pas beaucoup de choses réellement nouvelles, l’auteur a su employer beaucoup de documents et faits, publiés déjà, mais qui n’étaient pas encore utilisés comme matériaux pour l’histoire de notre Monastère (par ex. vie de S. Sava, chrysobulles des rois bulgares, données historiques concernant la ville Rosa de Dalmatie etc.). En même temps, c’est une bonne défense des intérêts du Monastère russe contre certaines prétentions grecques. Nous disposons d’un certain nombre d’exemplaires de cette brochure et si vous connaissez des personnes à qui, selon votre opinion, il serait bien d’envoyer cette brochure, veuillez bien nous indiquer leurs adresses, et nous allons leur envoyer ce livre.

Je tacherai maintenant de répondre à vos questions (en tant que je le puis). Pour aller plus vite je ne suivrai pas dans mes réponses l’ordre de vos questions.

1) Concernant l’office pendant la Pentecôte (14).

Il faut distinguer ici la période de Pâques (A) (dimanche de St. Thomas — apodôsis tou Paschou) et celle de l’Ascension (B). En plus l’ordre de l’office russe ® et grec (G).

Pér[iode] A.

R. Après l’Eulogêtos on lit directement Christos anestê (3 f.) [p. 2] Hagios ho Theos (3 f.). Doxa kai nyn. Panagia Trias. Kyrie eleison (3 f.) Pater hêmôn. Kyrie eleison (12 f). Doxa kai nyn. Deute…

G. Après l’Eulogêtos. Christos anestê (3 f.) Doxa kai nyn. Panagia Trias (et plus loin comme dans R).

Periode B.

R. Eulogêtos. Hagios ho Theos (3 f.) etc. (comme en haut).

G. La même chose.

La prière Basileu Ouranie est donc supprimée chez les russes et les grecs pendant toute la Pentecôte. La différence est que les G. ne lisent pas aussi l’Hagios ho Theos pendant la per. A (tandis que le Basileu ouranie est supprimé simplement). D’après les russes, le Christos voskrese remplace le Basileu Ouranie, quant au Hagios ho Theos, cette prière est lue comme toujours.

Le commencement (jusqu’à Deute proskynêsômen) est valable pour la 3me et 9me heure et pour l’Apodeipnon. Pour le Mesonyktikon il est valable jusqu’au Pater hêmôn (inclusivement). Après quoi on y lit les 3 prières matinales (Triadika troparia. Exegerthentes tou hypnou… Doxa. Tês klinês… Kai nyn. Athroon ho Kritês… voir seconde page de l’Horologion). Kyrie eleison (12 f.). Ek tou hypnou exanistamenos. Doxa soi Basileu. Deute proskynêsômen…

L’Orthros commence chez les R. directement par les Deute… suivis immédiatement par les psaumes 19 et 20. Chez les G. on commence par le Hagios ho Theos etc. (chez les R. ceci est observé seulement pendant les jeunes). Naturellement, j’ai en vu l’ordre normal quand l’orthros est lié avec le mesonyktikon (le suit immédiatement). Si on ne lit [p. 3] pas le mesonyktikon le commencement de l’orthros serait comme pour la 3 et la 9 heure et l’Apodeipnon.

L’Hesperinos, comme suite de la 9me [heure], commence par Deute (3 f.). Pendant la per[iode] A. les Deute sont remplacés par Christos anesti (3 f.) (chez les R. et G.).

2) L’Ephêmerios porte toujours le mandyas dans le réfectoire. L’higoumène et les Ekklêsiarchai seulement pendant les jours fériés.

3) Je ne crois pas que la corde X possède un nom spécial. On la considère comme une partie de l’analave (15).

4) J’ai réussi à trouver un exemplaire des « Genikoi Kanonismoi ». En échange je vous aurais prié de m’envoyer un de ces livres. 1) la Divine Liturgie de notre Père S. Jean Chrysostome (texte grec-français), 2) Le Petit Catalogue des Acolouthies grecques.

5) Pendant l’Apolysis on dit le nom du Saint qui est fêté dans sa place habituelle en ajoutant hou kai tên mnêmên… On ne le répète pas pour la seconde fois à la fin de l’apolysis.

6) Les tropaires des metheortia

— aux heures. on dit toujours le tropaire de la fête (dont il y a les metheortia) et puis celui du saint. Chez les R on dit le tropaire de la fête directement après les 3 Kyrie eleison, puis (après le tropaire) Doxa — le tropaire du saint — kai nyn — le theotokion tês hôras. Chez les G. après les 3 K. eleison on dit Doxa — deux tropaires (et même trois s’il y a deux saints) kai nyn, theotokion. S’il y a 2 saints, leurs tropaires sont lus à leur tour pendant les heures (tandis que le tropaire de la fête reste invariablement à sa place. Le dimanche on lit toujours le tropaire du dimanche, puis celui de la fête ou du saint (à tour de rôle chez les R.).

— à l’apodeipnon on ne lit que le kontakion.

chez les R. — d’abord de la fête puis doxa (du premier saint) kai nyn du second (ou directement doxa kai nyn et tropaire du saint s’il n’y a pas d’autre). On lit le tropaire du saint seulement si c’est un saint spécialement fêté (du moins par la megalê doxologia). Autrement on se borne au tropaire de la fête (sans doxa kai nyn).

chez les G. — on lit les tropaires de suite sans doxa kai nyn.

aux heures :

chez les R. — on ne lit jamais plus d’un kontakion à la même heure. S’il y en a plusieurs on les change aux différents heures (d’abord de le fête, puis des saints, s’ils sont spécialement fêtés.

chez les G. — on lit plusieurs kontakia à la même heure (comme à l’apodeipnon, sans doxa.

7) La convocation d’un concile, soit ici, soit quelque part ailleurs, me parait très invraisemblable. C’est toujours la question de l’Eglise Russe. Sans sa participation, aucun concile ne peut être convoqué. Je ne crois pas qu’avec le régime actuel en Russie, la participation de l’Eglise Russe soit possible (le métropolite Serge, le remplaçant du m. Pierre, a déjà refusé l’année dernière de prendre part au concile (prosynodos) projeté alors). Autre chose — conciles locaux des Eglises autocéphales (grecque, serbe, etc.). Des assemblées pareilles ont lieu assez souvent. Cette année, en octobre, se rassemblera à Athènes le concile des évêques grecs (syneleusis tês hierarchias).

Pour ne pas trop retarder l’envoi de cette lettre, je me borne à répondre aux questions ci-dessus.

Je vous remercie pour vos sentiments distingués et vous prie de croire à ma profonde estime.

moine Basile.

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Mont Athos, le 28 jan./10 févr. 1934

Mon Révérend Père,

Je viens de recevoir votre lettre du 25 janvier et je m’empresse de vous répondre ce qui suit.

1) J’ai trouvé un exemplaire de Genikoi Kanonismoi (1911) et je suis prêt à vous l’envoyer à tout moment en échange d’un Nouveau Testament en latin. Si vous consentez à cet échange, veuillez bien m’écrire (où envoyer simplement le livre) et je vous enverrai immédiatement les Kanonismoi.

2) Malheureusement, je ne me souviens pas très bien quels sont les canonismes intérieurs que je vous ai déjà envoyés. Veuillez bien m’en indiquer la liste et je vais voir si je pourrais y ajouter quelque chose. A mon regret, le canonisme intérieur du Monastère Kostamonitou (que je vous ai proposé cet été) fut acquis il y a quelque temps par un savant français qui s’intéresse spécialement à l’histoire du M. Athos. Je n’ai pas d’autre exemplaire de ce canonisme pour le moment présent.

3) Il m’est malheureusement tout à fait impossible d’exécuter votre prière concernant le manuscrit de Kostamonitou. Il n’y a que 2-3 personnes à notre Monastère qui pourraient se charger de ce travail. Ils sont tous occupés à des postes qui ne leurs permettent pas de l’éloigner du Monastère pour le temps que prendrait nécessairement la copie d’un manuscrit de 350 pages (même s’il ne contient que 5-6 lignes sur chaque page).

4) J’ai fait la commande à Karyès de la boucle de la ceinture. Je vous l’enverrai bientôt ensemble avec une note indiquant exactement son prix (avec les frais d’envoi).

[p. 2] Je vous remercie beaucoup pour vos bons souhaits. Dieu merci, je me porte très bien physiquement. Ces derniers temps, je me suis occupé à étudier les œuvres des écrivains ascétiques et mystiques de Byzance du 14e siècle (ceux qu’on appelle généralement « les hésychastes » – c’est-à-dire S. Grégoire le Sinaïte, St. Grégoire Palamas, Nicolas Cabasilas etc., ainsi que de leurs adversaires). C’est une époque extrêmement intéressante au point de vue mystique, théologique et même philosophique. Malheureusement, il est très difficile de l’étudier bien à fond vu que des œuvres très importantes de ces écrivains restent encore non publiées.

Le P. Mitrophane vous salue. Il a un peu vieilli ces derniers temps (que faire ?), sa santé n’est pas toujours très bonne, mais tout de même il ne perd pas courage.

La situation du Monastère n’a pas varié. Toujours beaucoup de difficultés avec les Grecs. Beaucoup de soucis économiques. Le nombre de moines a diminué jusqu’à 370. Malgré tout ceci, Dieu ne nous laisse pas sans protection et nous vivons dans une atmosphère de paix. Que de personnes à notre époque se trouvent dans une situation plus mauvaise que la nôtre ! Il faut sans cesse remercier Dieu pour tout.

Votre bien dévoué,
moine Basile.


  1. Le 26 septembre 1932, un tremblement de terre d’une magnitude de 7.2 sur l’échelle de Richter s’était produit dans la Mer Égée (Grèce) et avait causé des dégâts considérables aux monastères du Mont Athos.
  2. La Hagia Koinotis, ou Sainte Communauté est l’organe délibératif du Mont Athos. Elle réunit les vingt représentants de chacun des vingt monastères. Elle siège à Karyès.
  3. Transcription de Esoterikos kanonismos, la règle intérieure d’un monastère.
  4. Katastatikos Chartês tou Hagiou Orous Athôs [Charte constitutionnelle de la Sainte Montagne du Mont Athos].
  5. Joachim III (1834-1912), patriarche de Constantinople de 1878 à 1884 et de 1901 à 1912.
  6. Patriarchikon sigillion peri tou Kelliôtikou zêtêmatos ekdothen epi tês patriarchias tou panagiôtatou patriarchou kyriou kyriou Iôakeim III tou apo Thessalonikês (ar. prôt. 2968). Constantinople, 1907, 16 p. ; Athènes, 1913, 16 p. (cf. I. DOENS, Bibliographie de la Sainte Montagne de l’Athos, Chevetogne, 1963, nr 627).
  7. Monastères cénobitiques.
  8. La Liturgie des Présanctifiés.
  9. En slavon. « Da ispravitsja ». « Que ma prière s’élève comme l’encens… » chanté pendant les Présanctifiés.
  10. Le métropolite Antoine Khrapovitsky (1863-1936).
  11. Prière d’absolution.
  12. Vigile nocturne.
  13. Alexandre SOLOVIEV, Histoire du monachisme russe au Mont Athos, Belgrade, 1933 [réimprimé de la revue Byzantion 8 (1933), fasc. 1, et augmenté par l’auteur], 24 p. + 2 illustr. noir et blanc hors texte. [cfr. Bibliothèque de Chevetogne.. 4° Res-II 44]
  14. C’est-à-dire le temps de Pâques à la Pentecôte, celui du « Pentecostaire ».
  15. Analabos (ou analabion). scapulaire du Grand Habit, avec des cordes croisées sur la poitrine (X).