Mon Révérend, honoré et bien-aimé dans le Seigneur père…
Le début du saint Carême et la conscience de notre devoir de serviteur du culte pour l’organisation de la vie ecclésiale des Russes orthodoxes en Europe occidentale selon les principes de paix, de charité mutuelle et d’unité, ainsi que le sentiment de notre responsabilité devant l’Église-mère, nous incitent à vous adresser l’appel suivant.
Son Éminence le métropolite Euloge, en rompant avec l’Église russe en 1931 et en rejoignant le Patriarcat de Constantinople, avait toujours envisagé cette séparation comme temporaire, comme il l’écrivait dans sa lettre aux fidèles le 25 février 1931 : « Le nouvel ordre est temporaire. Lorsque l’autorité ecclésiastique centrale de l’Église orthodoxe russe sera rétablie et reconnue de tous, nous reviendrons à la situation préalable. »
Cette séparation était motivée par la difficulté d’entrer en contact avec le Patriarcat de Moscou, et par la crainte des pressions politiques exercées sur l’Église par le pouvoir soviétique. Si ces motifs et ces craintes étaient justifiés à l’époque, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et à la suite des changements qui se sont produits dans la situation de l’Église en Russie, ils sont désormais sans fondement. Le métropolite Euloge en avait clairement conscience, et, en 1945, il se réunit à l’Église-mère avec son clergé et ses fidèles.
La justesse de l’idée de retour à l’Église-mère, accompli en 1945 par le métropolite Euloge, est justifiée par l’expérience des près de quinze ans de vie ecclésiale qui se sont écoulés depuis. Toutes ces années, l’Exarchat du Patriarcat de Moscou en Europe occidentale a vécu et vit librement sa vie d’Église. Personne n’exerce depuis nulle part la moindre pression sur l’Exarchat. Dans son fonctionnement interne, l’Exarchat est strictement attaché à sa ligne ecclésiale apolitique, dans un esprit d’entière loyauté aux pays où s’exerce sa vie d’Église. Le fait même de l’existence de nos paroisses orthodoxes françaises, dont la majorité des clercs et des laïcs sont des Français de naissance, et où l’office est célébré en français, témoigne de notre loyauté envers les pays d’Europe occidentale qui nous ont accueillis, et de notre indépendance par rapport à la politique. La situation est la même en Angleterre et en Hollande.
Nous avons pour notre mère, l’Église russe, une affection et un attachement filiaux, mais nous sommes en même temps entièrement ouverts à nos frères dans la foi orthodoxe occidentaux, et ils se sentent chez eux dans l’Église avec nous.
D’un autre côté, nos rapports avec l’Église-Mère s’opèrent de façon totalement libre et sans entrave. Non seulement nous sommes constamment en correspondance avec le Patriarcat de Moscou, mais les membres de notre Exarchat – évêques, clercs et laïcs – peuvent se rendre à Moscou, y rencontrer le patriarche et les hiérarques de notre Église orthodoxe russe.
De la même façon, le clergé, les professeurs de théologie et les autres membres influents de l’Église russe dans la patrie peuvent venir nous voir et découvrir la vie de l’Exarchat. Les chefs et les représentants d’autres églises autocéphales se rendent tout aussi librement au Patriarcat de Moscou. Tous entretiennent avec elle des relations canoniques fraternelles, et voient en elle la seule Église orthodoxe russe canonique.
Nous ne parlons même pas de la reconnaissance générale du Patriarcat de Moscou par le peuple orthodoxe russe sur place, de l’affection qu’il porte à son clergé, le soutenant de façon touchante et généreuse, souvent en prenant sur ses dernières ressources.
Par conséquent, le Patriarcat de Moscou est cette « autorité ecclésiastique centrale de l’Église orthodoxe russe reconnue de tous » dont parlait le métropolite Euloge dans son message de 1931, et qu’il attendait pour rejoindre l’Église-Mère. Ainsi, les motifs invoqués jadis pour justifier la rupture des Russes orthodoxes en Europe occidentale avec leur Mère-Église, sont aujourd’hui entièrement caduques.
C’est pourquoi nous vous adressons ce pressant appel, en tant que hiérarques de l’Église qui vous a fait naître spirituellement, et à laquelle vous apparteniez encore si récemment, et nous vous prions, au nom du grand Pasteur des pasteurs, notre Seigneur Jésus Christ, de prendre une décision salutaire, de mettre fin à la division, de revenir avec tous vos paroissiens à votre Mère, l’Église orthodoxe russe, et à rétablir ainsi la paix ecclésiale parmi les Russes de la diaspora, paix détruite par la seconde rupture avec l’Église russe, en 1946. Cela mettrait également fin à une cause de tristesses et de discordes entre l’Église russe et le Patriarcat œcuménique, assombrissant leurs bons rapports, et permettrait de rétablir l’amour mutuel, la paix et l’unité dans la Sainte Église catholique et apostolique.
L’Église orthodoxe russe souffre de la perte de ses enfants, de leur départ pour un autre bercail, et elle ne peut reconnaître comme légitime la création par le Patriarcat de Constantinople d’un Exarque particulier pour « les églises russes ». L’Église russe y voit fort justement une intervention dans sa vie interne, et une infraction à ses droits canoniques en tant qu’Église autocéphale.
Nous sommes heureux d’apprendre que Sa Sainteté le patriarche Athénagoras a conscience de l’anomalie et du caractère temporaire de l’existence d’un Exarchat de Constantinople des « églises russes » en Europe occidentale. Il partage notre ardent désir de voir tous les orthodoxes russes, dispersés dans le monde, revenir dans le sein de l’Église-Mère, le Patriarcat de Moscou. Il nous l’a souvent affirmé dans ses entretiens avec les représentants de notre Église. Le patriarche œcuménique a aussi témoigné de sa positive bienveillance envers l’Exarchat du Patriarcat de Moscou en Europe occidentale, et de la reconnaissance de la représentation légale de l’Église orthodoxe russe pour les Russes à l’étranger, par la participation de son évêque à la chirotonie d’un évêque de notre Exarchat, Antoine de Serguiev.
Ainsi, les empêchements au retour à l’Église-Mère et au rétablissement de la paix et de l’unité parmi les orthodoxes russes en Europe occidentale ne viennent nullement du siège œcuménique, mais de personnes n’ayant pas clairement conscience de la nature de l’Église, et désireuses de la soumettre non aux canons ecclésiastiques, mais à des intérêts étrangers à l’Église.
Nous vous appelons, recteur de votre paroisse, pasteur et père spirituel des âmes qui vous sont confiées, à remplir jusqu’au bout votre devoir devant l’Église du Christ. Incitez vos paroissiens à s’engager sur une voie vraiment ecclésiale, raisonnez ceux qui hésitent ou qui se trompent, réchauffez en eux l’amour de l’Église-Mère et unissez-vous avec vos clercs et vos paroissiens à l’Église orthodoxe russe mère.
Offrez-nous, ainsi qu’à toute l’Église de Dieu, la grande joie pascale de fêter tous ensemble dans la paix et l’unité, dans le sein de notre Mère-Église commune, le Jour lumineux de la Résurrection du Christ au troisième jour, la Pâque du Seigneur !
Nous tous, archipasteurs et pasteurs, devons nous rappeler que les désordres et les discordes dans l’Église orthodoxe sont une source de scandale pour tous ses fidèles enfants, et surtout pour les jeunes et les enfants qui ne sont pas encore enracinés dans la foi causant leur départ vers le catholicisme romain ; elles font aussi obstacle à ce que des catholiques et des protestants qui aiment l’Orthodoxie et s’y intéressent, la rejoignent, car les désordres entre orthodoxes les troublent.
Ardemment, nous prions Dieu d’inspirer à votre cœur le soin de son Église, de vous affermir pour que vous avanciez sur le chemin de la vérité.
Invoquant sur vous la bénédiction divine, nous vous assurons de notre sincère affection en Christ.
L’exarque du patriarche de Moscou NICOLAS, métropolite de Chersonèse
Les vicaires
ANTOINE, évêque de Serguiev
BASILE, évêque de Volokolamsk
Note: Ce message a été publié dans le supplément « Chronique de la vie de l’Église orthodoxe russe en Europe occidentale », n°14, mars-avril 1960. Le document était intitulé : « Formulaire de message du métropolite Nicolas de Chersonèse et de ses vicaires au clergé de l’Exarchat de Constantinople ». En dehors du métropolite Nicolas (Eremine), la lettre est signée de l’évêque Antoine (Blum) et de l’évêque Basile (Krivochéine). Ce document a été publié dans l’ouvrage « L’Église de Mgr Basile (Krivochéine), A. Moussine, éditions de la Fraternité Saint-Alexandre-Nevski, Nijni Novgorod, 2004.