J’entendis parler pour la première fois du métropolite Nicodème (Rotov) de Leningrad et Novgorod (1) (qui n’était alors qu’archimandrite) durant l’été 1959 par un de nos paroissiens d’Oxford, E. E. Lampert (chef de chœur et lecteur, qui devait par la suite occuper une chaire de russe dans une université anglaise), de retour d’un séjour à Moscou. Il m’était arrivé auparavant de tomber sur des entrefilets dans le Journal du patriarcat de Moscou qui mentionnaient le séjour et les activités de l’archimandrite Nicodème à Jérusalem où il dirigeait la Mission orthodoxe russe, mais je ne m’étais jamais particulièrement intéressé à ces informations. Et voilà qu’en rentrant de Moscou où l’avaient conduit ses activités littéraires, E. E. Lampert me raconta. « Savez-vous qu’un nouveau vice-président du Département des relations extérieures du patriarcat a été nommé aux côtés du métropolite Nicolas (Iarouchevitch) (2) ? C’est le jeune archimandrite Nicodème. Une personne désagréable et repoussante. » — « C’est l’impression qu’il vous a faite ? », lui demandai-je. — « Non, je ne l’ai pas vu personnellement, répondit Lampert, mais c’est ce qu’on dit de lui dans les milieux d’église à Moscou. »
C’est vraisemblablement dans l’entourage du métropolite Nicolas (Iarouchevitch), alors président du Département des relations extérieures, que Lampert avait entendu de tels propos, ce qui montre que le conflit était déjà latent entre les deux hommes. Toujours est-il que cette remarque de Lampert resta gravée dans mon esprit et m’inspira un préjugé défavorable envers le futur métropolite Nicodème. « Il faudra être prudent avec cet homme-là », me dis-je.
Ma première rencontre personnelle avec l’archimandrite Nicodème remonte à juin 1960 à Oxford. Je venais d’être nommé évêque de Bruxelles et de Belgique (3), après avoir séjourné un temps à Paris en tant qu’évêque auxiliaire de l’exarchat d’Europe occidentale (4). Je n’avais quasiment pas encore eu le temps de prendre en main les affaires du diocèse de Belgique, quand j’appris qu’une délégation de moines russes se rendait en Grande-Bretagne et que l’évêque Antoine de Londres (5) désirait me voir prendre part à l’accueil de ladite délégation. Je me rendis donc de Paris à Oxford où, pendant huit ans, j’avais célébré en tant qu’hiéromoine, puis archimandrite, dans la paroisse locale (6).
La délégation était composée de l’archimandrite Nicodème qui en était le chef, l’archimandrite Philarète (futur métropolite de Kiev) (7) et du hiéromoine Bartholomée (futur archevêque de Tachkent) (8) ; ils venaient en Grande-Bretagne sur l’invitation de communautés monastiques anglicanes, auxquelles ils « rendaient leur visite », puisque des moines anglicans étaient allés en Russie (9) invités par le patriarcat de Moscou. L’archimandrite Nicodème avait alors trente ans, les autres membres de la délégation étaient un peu plus âgés, mais l’archimandrite Nicodème occupait manifestement une position de commandement par rapport aux autres, ce qui était fort naturel pour un chef de délégation.
Je ne décrirai pas ici en détail les quinze jours (10) que l’archimandrite Nicodème passa en Grande-Bretagne ; cela dépasse le cadre de notre récit et par ailleurs les années en ont effacé les détails de ma mémoire ; je ne mentionnerai que quelques épisodes à caractère plus personnel. La délégation de moines arriva chez nous à Oxford le samedi 18 juin 1960. Hébergée (tout comme moi) par le monastère anglican de Cowley-Favers, elle célébra les vigiles et la liturgie dominicale dans l’église de notre patriarcat qui se trouvait dans la maison de « saint Grégoire de Nysse et de sainte Macrine » (11). Le soir pendant le dîner, alors que nous étions en comité restreint, nous eûmes une conversation à propos de l’œcuménisme. Militsa Vladimirovna, épouse du professeur à l’université d’Oxford Nicolas Mikhaïlovitch Zernov (12), demanda à l’archimandrite Nicodème ce qu’il pensait de la prière interconfessionnelle, avec les anglicans en particulier. L’archimandrite fit une réponse prudente, qui montre à quel point il devait évoluer par la suite. « Les canons de l’Église orthodoxe (13) — dit-il — interdisent toute prière conjointe avec des personnes qui n’en sont pas membres, et je m’en tiens strictement à cette règle. Aucun nouveau décret n’ayant été promulgué depuis par l’Église orthodoxe, je ne prie pas quand je me trouve dans des églises non orthodoxes. Mais ces questions concernant la prière interconfessionnelle et l’œcuménisme sont en train d’être examinées par le synode et il faut voir ce qui sera décidé. »
L’assistance ne fut pas satisfaite de cette réponse et Militsa Vladimirovna s’adressa à moi. « Et vous, Monseigneur, qu’en pensez-vous ? » — « L’apôtre Paul écrit. « Priez sans cesse (14) » », lui dis-je. « Je ne vois pas pourquoi il faudrait interrompre cette prière continuelle quand on se trouve dans une église non orthodoxe. Dans ces cas-là, cependant, j’essaie de prier par moi-même, et non avec les gens qui s’y trouvent. »
« Vous avez entendu ce qu’a dit Monseigneur, s’exclama madame Zernov, écoutez-le ! » L’archimandrite Nicodème ne me contredit pas. Il faut dire qu’il montrait du respect pour mon rang épiscopal et affichait une certaine humilité, sans renoncer pourtant à son autorité.
Le 20 juin (15) au soir, une réception fut organisée dans le jardin de la maison de Saint Grégoire de Nysse, qui attira beaucoup de monde, des Anglais en majorité, dont l’évêque Carpenter d’Oxford (16), un professeur de l’université et d’autres personnes. Les trois membres de la délégation monastique se présentèrent en russe, leur intervention étant immédiatement traduite en anglais. Ils racontèrent leurs parcours, leurs origines. L’archimandrite Nicodème, comme ses compagnons du reste, parlait avec aisance et de manière assez intéressante. Je fis part de cette remarque au professeur N. M. Zernov. « C’est vrai, me répondit-il, mais ils s’expriment dans une langue primitive, on dirait des paysans. » Il n’était pas si simple de plaire à notre paroisse académique, composée en majorité de professeurs ou d’étudiants, ni non plus aux Anglais.
Le lendemain, nos invités repartaient pour Londres. Nous nous trouvâmes confrontés à un problème de transport. En effet, l’archimandrite Nicodème avait catégoriquement refusé que les conducteurs des voitures mises à la disposition de la délégation soient des femmes. Les Anglais répondirent que c’était <…>*, il resta inflexible. L’un des hôtes dit. « Nous avons à ce sujet des instructions très strictes du patriarcat, je ne veux pas me retrouver au cœur d’un scandale, on pourrait nous prendre en photo et prétendre que nous nous promenons avec des femmes ! »
Je pense qu’une telle psychologie s’explique par une méconnaissance du mode de vie occidental et aussi, tout simplement, par les mœurs de l’Église russe à l’époque. C’était en quelque sorte du provincialisme, car l’archimandrite Nicodème venait en Occident pour la première fois. Par la suite, en tout cas, l’archimandrite Nicodème « évolua » et perdit ses préjugés négatifs sur les femmes-chauffeurs.
Je les accompagnai à Londres, dans la même voiture — si je ne me trompe — que lui et l’archimandrite Philarète. En chemin, nous parlâmes longuement de la vie religieuse en Russie, de la situation de l’Église, mais avec retenue et relativement superficiellement. Tant lui que moi évitions les sujets brûlants, moi car je ne voulais pas le mettre dans une situation gênante dès notre première rencontre, et lui suivant sa nature réservée et prudente. Entre autres, il me demanda. « Pourquoi l’évêque Antoine (de Londres) refuse-t-il avec obstination de se rendre à Moscou alors qu’il est invité par le patriarcat ? » Je répondis que l’évêque Antoine avait peur que ses paroissiens ne l’accusent de « soviétophilie » et que certains ne passent aux karlovtsiens (17). « Il ne faut pas que Mgr Antoine s’inquiète, s’exclama l’archimandrite Nicodème, une visite à Moscou ne le rendra pas bolchevique ! »
Les samedi 25 et dimanche 26 juin, Mgr Antoine, la délégation monastique et moi-même célébrâmes ensemble les vigiles et la liturgie en la cathédrale du patriarcat de Moscou à Londres, mais je ne garde aucun souvenir particulier de ces offices, hormis le fait que l’archimandrite Philarète y donna une fort belle homélie. Je ne sais pourquoi l’homélie ne fut pas dite par l’archimandrite Nicodème (chef de la délégation).
Quelques jours plus tard, la délégation monastique rentra à Moscou et je repartis pour ma part à Paris, d’où je me rendis bientôt à Bruxelles. Je ne séjournai en Belgique que peu de jours et, le 16 juillet, je m’envolai via Paris pour Moscou, où j’avais été invité par le patriarcat à l’occasion de la saint Serge (18). Pour faire un bilan de ma première rencontre avec l’archimandrite Nicodème, je peux dire qu’il me fit l’impression d’un homme intelligent et capable, raisonnablement cultivé et formé en théologie, interlocuteur intéressant. Mais jamais je n’aurais pu (alors) imaginer la carrière ecclésiastique brillante et vertigineuse qui allait être la sienne, pas plus que je ne m’attendais à son imminent sacre épiscopal. Il me semblait trop jeune pour cela. Je dois avouer que j’avais sous-estimé à l’époque ses capacités intellectuelles et même ses qualités spirituelles. À la suite de cette première rencontre, peut-on dire que s’étaient tissés entre nous des liens personnels et sincères d’amitié ? Oui et non, serais-je tenté de répondre, et cette appréciation allait rester valable pour toute la durée de nos relations, avec la simple nuance que si le « non » l’emportait alors sur le « oui », au fur et à mesure que nos relations évoluèrent, le « oui » s’imposa de plus en plus face au « non ». Jamais cependant nous ne parvînmes à un « oui » absolu.
Dès avant mon départ pour Moscou (via Paris), des nouvelles incroyables nous stupéfièrent. Pour des raisons inconnues de nous, le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) de Kroutitsy et Kolomna, la deuxième figure de l’Église après le patriarche Alexis et dauphin notoire de ce dernier, mondialement connu pour ses activités, venait, le 21 juin 1960, d’être relevé de ses fonctions de président du Département des relations extérieures du patriarcat de Moscou, pour être remplacé par l’archimandrite Nicodème (19). Peu après, le 10 juillet 1960, ce dernier fut sacré évêque de Podolsk, auxiliaire du diocèse de Moscou. Et tout cela avait été décidé pendant qu’il se trouvait avec la délégation en Grande-Bretagne ; sa nomination à la présidence du Département des relations extérieures avait eu lieu une semaine avant son départ de Londres. Je ne saurais dire s’il était au courant de cette nomination, je suppose que oui, mais il était très discret à ce sujet et n’y fit pas la moindre allusion.
La nouvelle du départ à la retraite du métropolite Nicolas provoqua une grande inquiétude à Paris, au sein de notre exarchat. Même si la signification de ce départ et ses circonstances ne nous semblaient pas claires, nous sentions qu’il n’annonçait rien de bon pour l’Église. Ce pressentiment devait s’avérer exact. c’était le début des persécutions de l’ère Khrouchtchev, qui avaient commencé depuis six mois déjà (20), mais à Paris, nous n’en savions encore rien. La mise à la retraite du métropolite Nicolas en était un symptôme flagrant.
L’ayant déjà relaté précédemment (21) et ne souhaitant pas me répéter, je ne ferai pas ici le récit de mon séjour en Russie du 16 au 30 juillet 1960 ni de mes entrevues et conversations avec l’évêque Nicodème à cette occasion, même si les circonstances de ce séjour sont fort éclairantes pour comprendre sa personnalité.
De retour à Paris, je fis à l’exarchat un rapport détaillé de mes impressions concernant la situation de l’Église de Russie, ainsi que de mes conversations avec le métropolite Nicolas et l’évêque Nicodème. Mes informations sur les persécutions de Khrouchtchev contre l’Église, dont on ne savait pas grand-chose en Occident à l’époque, attristèrent beaucoup les membres du conseil de l’exarchat et le récit de mes entretiens avec l’évêque Nicodème ne fit que renforcer le sentiment négatif, voire hostile, que notre exarque (22) nourrissait déjà à son égard. Quant à moi, je ne pouvais pas partager entièrement ce sentiment. Bien sûr, le rôle de l’évêque Nicodème semblait avoir été assez peu sympathique car, même s’il n’avait pas pris une part active aux agissements des autorités soviétiques pour limoger Mgr Nicolas (et c’est le plus vraisemblable, puisqu’à ce moment-là, Mgr Nicodème se trouvait en Grande-Bretagne), il est incontestable qu’en acceptant de prendre la place du métropolite limogé, il avait considérablement facilité la tâche de Kouroïedov (23) et sa clique. Évidemment, Kouroïedov savait à l’avance qu’en la personne de l’évêque Nicodème il trouverait un homme plus facile à manipuler par les autorités que le métropolite Nicolas. Et, par ses critiques de la personnalité du métropolite Nicolas, l’évêque Nicodème justifiait devant l’opinion publique son limogeage. Par souci d’objectivité, il faut cependant avouer que les critiques de la personnalité et des activités du métropolite Nicolas par Mgr Nicodème contenaient une grande part de vérité.
Une nuance doit cependant être apportée ici. Le métropolite Nicolas, malgré ses faiblesses trop humaines, était un homme talentueux, cultivé, un hiérarque d’une intelligence remarquable et à la personnalité pleine de charme. Et surtout, il ne fut pas relevé de ses fonctions pour ses défauts personnels ou administratifs, mais uniquement à la demande des autorités soviétiques irritées par sa lutte contre l’athéisme et son opposition aux persécutions de Khrouchtchev.
Certes, l’évêque Nicodème tiendra la promesse qu’il m’avait faite lors de nos rencontres (24) d’être toujours bienveillant à l’égard de l’exarchat d’Europe occidentale.
Son rôle probable dans la mise à l’écart du métropolite Nicolas devait cependant peser contre lui dans nos relations.
Je rencontrai de nouveau l’évêque Nicodème en novembre 1960 à Paris, où il était venu participer au sacre de l’archimandrite Alexis (van der Mensbrugghe) en tant qu’évêque de Meudon (25). Il avait une attitude discrète et ne se faisait remarquer en rien, ce qui était somme toute assez naturel ; il n’était encore qu’évêque auxiliaire de Podolsk. Alors que nous nous trouvions dans le sanctuaire, il me dit qu’à l’automne 1961, se tiendrait sur l’île de Rhodes une conférence panorthodoxe, à laquelle je serais désigné avec lui par le patriarcat de Moscou pour représenter l’Église orthodoxe russe.
« Nous tenons beaucoup à votre participation à cette conférence, ajouta-t-il, car vous parlez bien le grec, vous connaissez les Grecs en général et vous avez longuement séjourné sur le Mont Athos. J’espère que nous pourrons collaborer fraternellement. » Je lui répondis qu’il pouvait compter sur moi, et que je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour le bien de l’Église.
Et, effectivement, je reçus une invitation du patriarcat à me rendre à la conférence de Rhodes (26). Aux environs du 20 septembre 1961, je pris donc l’avion de Paris pour Athènes, où je retrouvai Mgr Nicodème — élevé peu auparavant au rang d’archevêque de Iaroslavl et Rostov (27) — et les autres membres de notre délégation (l’évêque Alexis de Tallin (28), le protopresbytre Vital Borovoï (29), etc.) qui venaient d’arriver de Moscou.
Il convient de noter ici qu’A. S. Bouïevsky (30) avait préalablement téléphoné du patriarcat à notre exarque Mgr Nicolas (31) à Paris pour lui demander si j’acceptais que l’archevêque Nicodème soit placé à la tête de la délégation. Cette question se posait parce que l’archevêque Nicodème était mon cadet, non seulement au rang d’archevêque, mais aussi en tant qu’évêque, et qu’en outre, il n’était pas encore membre permanent du synode, ce qui lui aurait conféré l’aînesse. Après m’avoir consulté, notre exarque répondit en mon nom que j’acceptais tout à fait, que je recherchais aucune forme de primauté et que j’estimais même parfaitement normal que la délégation soit menée par quelqu’un qui venait directement du patriarcat et connaissait mieux que moi la situation actuelle dans l’Église russe et les décisions du Synode au sujet de la Conférence panorthodoxe. « En tout cas, ajouta Bouïevsky, l’archevêque Nicodème consultera Mgr Basile pour toute décision et n’agira qu’en accord avec lui. »
En réalité, cependant, la collaboration avec l’archevêque Nicodème allait s’avérer extrêmement difficile. Pour moi, cela s’explique dans une large mesure par l’extrême jeunesse (moins de trente-deux ans à l’époque), l’inexpérience et même l’immaturité de celui-ci. Plus tard, lors des rencontres ou des conférences panorthodoxes ultérieures, nous allions travailler en bonne collaboration. Mais pour l’heure, il ne se sentait manifestement pas très sûr dans son rôle, nouveau pour lui, de chef d’une délégation aussi importante, craignait peut-être que je ne le supplante et ne perdait pas une occasion d’affirmer son autorité. Il s’efforçait de mener seul toutes les discussions avec les Grecs, ne m’informant pas même de leur contenu. Mais sa connaissance du grec était insuffisante. Pendant son séjour à Jérusalem, il avait appris à bavarder sur les thèmes de la vie courante, mais était incapable de participer à une discussion théologique ou de comprendre un exposé de théologie (ce qu’il admettait d’ailleurs lui-même). Malgré cela, il évitait de recourir à mes services pour la traduction, ce qui m’aurait permis d’assister à ses pourparlers avec les Grecs. Il faisait donc appel à Alexeïev, l’interprète du patriarcat (32), qui ne connaissait que l’anglais et n’était pas familiarisé avec le vocabulaire théologique. Cette situation commença sur le bateau qui nous conduisait du Pirée à Rhodes. Lors de cette traversée, l’archevêque Nicodème entama des pourparlers animés avec deux « personnalités » grecques de la délégation de Constantinople, les métropolites Méliton de Chalcédoine (33) et Chrysostome (Constantinidis) de Myre (34). Alexeïev traduisait mais ni moi ni l’évêque Alexis de Tallin ne fûmes invités à participer à la conversation. À notre arrivée à Rhodes, je dis à l’archevêque Nicodème. « Monseigneur, vous menez en permanence avec les Grecs des pourparlers dont je ne suis même pas informé. C’est gênant, car je suis membre de cette délégation au même titre que vous. »
« Vous faites erreur, me répondit l’archevêque Nicodème, ce ne sont que des conversations privées, chacun a le droit d’en avoir. » Je fis part de cet échange à l’évêque Alexis qui était membre de notre délégation. Lui aussi était insatisfait du comportement de l’archevêque Nicodème. « Mais vous, Monseigneur, avez l’avantage de pouvoir exprimer votre mécontentement à Mgr Nicodème, me dit-il, tandis que moi je ne le peux pas. »
Sur ce même bateau, je fus soudain abordé par l’évêque Parthène, membre de la délégation bulgare, grand défenseur de l’orthodoxie et en même temps adversaire de l’archevêque Nicodème.
« Savez-vous qu’hier l’archevêque Nicodème a tenu devant nous [la délégation bulgare] des propos désobligeants à votre égard ? », me dit-il. « Il nous a dit qu’il fallait se méfier de vous et ne rien vous raconter car vous étiez un homme d’éducation occidentale et que vous répéteriez tout ce qui vous serait dit. » — « Cela se peut, répondis-je, mais je ne nomme jamais la source de mon information. »
Il faut dire que le comportement de l’archevêque Nicodème était fortement influencé par la présence, dans notre délégation, d’un collaborateur du Département des relations extérieures du patriarcat, un certain I. V. Varlamov, un individu déplaisant au plus haut point, un goujat. S’il n’était pas tchékiste, c’était en tout cas un agent des autorités soviétiques (35), envoyé là pour surveiller les faits et gestes de l’archevêque Nicodème et des autres membres de la délégation. Il faisait constamment la promotion du système soviétique et s’adressait à nos évêques sur un ton de commandement. Avec moi, il était correct, mais visiblement extrêmement méfiant. Quoi qu’il en soit, après ma conversation avec l’archevêque Nicodème, je décidai de ne me mêler de rien, de ne plus proposer mes services et de le laisser mener sa barque tout seul, à sa convenance.
Cette attitude porta ses fruits. l’archevêque Nicodème fut lui-même contraint de s’adresser à moi. Ainsi, lors d’une des premières sessions de la Conférence ou, plus exactement, juste avant le début de la session, il me tendit soudain un long document, composé de nombreuses pages, et me dit. « Voici les positions officielles de l’Église russe sur les questions à l’ordre du jour de la Conférence panorthodoxe. Je vais lire ce document en russe, paragraphe par paragraphe, et vous le traduirez en grec. » Bien sûr, j’aurais pu lui objecter que cela ne se fait pas de transmettre à la dernière minute un document d’une telle importance. En tant que membre de la délégation du patriarcat de Moscou, j’avais le droit d’être informé de son contenu à l’avance et me l’avoir dissimulé jusqu’à présent était incorrect. De plus, il est très difficile et pénible d’improviser la traduction d’un texte au contenu théologique aussi complexe, sans en avoir pris connaissance au préalable. Adressez-vous donc à votre interprète officiel Alexeïev, pensai-je, il traduira vers l’anglais et il se trouvera bien un Grec pour traduire de l’anglais en grec. Mais je ne commençai pas à discuter avec l’archevêque Nicodème et acceptai de l’aider à traduire le texte, me contentant de faire remarquer la difficulté d’une traduction de dernière minute. « Ne vous inquiétez pas, je suis convaincu que vous y arriverez très bien », répondit-il. Et effectivement, avec l’aide de Dieu, je réussis à tout traduire ! L’archevêque Nicodème apprécia et, par la suite, aimait à raconter que je traduisais à la perfection, étant donné que l’un des participants de la rencontre, le professeur Fotiadis de l’école de théologie de Halki (36), qui connaissait le russe et avait reçu le texte original de la déclaration, avait été surpris par l’exactitude ma traduction.
Pour ce qui est du contenu de la déclaration de l’archevêque Nicodème, tout ce qu’il dit était irréprochablement orthodoxe, il posait toute une série de questions vitales pour l’orthodoxie et défendait les intérêts de l’Église russe dans le cadre de l’unité panorthodoxe. Malheureusement, son allocution contenait aussi des passages politiques, avec les habituelles attaques polémiques contre l’impérialisme, le colonialisme, etc., émaillées d’expressions très violentes. Dans ma traduction de cette partie du discours, j’omis systématiquement ces expressions. L’archevêque Nicodème ne s’en aperçut pas, mais je l’en informai ensuite moi-même. « J’ai agi ainsi car, sans cela, votre allocution aurait produit une impression très négative. » L’archevêque Nicodème eut l’air mécontent, mais ne me dit rien. Il était assez intelligent pour comprendre que j’avais raison.
Une autre question délicate surgit lors des discussions du programme du futur concile panorthodoxe. Il y avait un point [à l’ordre du jour]. « L’athéisme et la lutte contre celui-ci. » Et un autre. « La franc-maçonnerie et notre attitude à son égard. » La question de l’athéisme et de la lutte contre celui-ci alarma beaucoup l’archevêque Nicodème et plus encore le représentant officiel du Département des relations extérieures Varlamov, qui l’interpréta de manière politique comme un prétexte pour lutter contre l’URSS et le pouvoir soviétique. C’est pourquoi l’archevêque Nicodème se mit à œuvrer énergiquement, non lors des sessions plénières de la Conférence, mais en commission, pour que cette question soit retirée du programme du concile et ne soit même pas évoquée lors des réunions plénières.
Il rencontra cependant sur ce sujet un adversaire inattendu en la personne du métropolite Élie d’Alep, futur patriarche d’Antioche (37). Ce dernier affirmait — et j’en fus personnellement témoin — que la lutte contre l’athéisme était une des principales missions de notre époque et que sa conscience épiscopale ne lui permettait pas d’accepter que cette question soit exclue du programme du futur concile. Néanmoins, l’archevêque Nicodème réussit (je ne sais comment) à convaincre le métropolite Élie, qui se tut. Il est vraisemblable que l’archevêque Nicodème lui avait expliqué qu’une discussion de la question de la lutte contre l’athéisme risquait de déclencher des répressions contre l’Église orthodoxe russe et rendrait impossible sa participation au futur concile. Ces mêmes arguments « de poids » firent probablement leur effet sur les autres membres de la Conférence et la question de l’athéisme fut rayée du programme, sans aucune discussion en assemblée plénière.
En ce qui concerne la franc-maçonnerie, « elle n’existe pas en Russie, et nous ne la connaissons pas. Étant donné qu’elle n’existe qu’en Occident, cette question n’est pas d’intérêt panorthodoxe mais seulement local, et il ne faut pas l’inscrire au programme du concile panorthodoxe. » C’est ce que dit l’archevêque Nicodème et il fut entendu. En général, il s’intéressait plus à des questions pratiques d’ecclésiologie (les juridictions, les prétentions de Constantinople, l’autocéphalie, etc.) qu’à des débats purement théologiques. C’est pourquoi, il me proposa de prendre part à la commission théologique, où l’on ne discutait d’aucune question brûlante. La conférence de presse de l’archevêque Nicodème fut un épisode caractéristique. L’inévitable Varlamov en fut l’organisateur actif. Sa « tactique » était d’une simplicité cynique. « Nous allons offrir à l’auditoire des canapés de caviar en quantité et beaucoup de vodka, nous dit-il d’une voix forte et sans se gêner, et quand ils auront bien bouffé et bien bu, on se mettra à parler. La réception n’en sera que meilleure. » Je n’assistai pas à la conférence de presse ; l’archevêque Nicodème, d’ailleurs, ne m’y avait pas spécialement invité. On me raconta qu’il avait bien parlé et qu’à chaque question, il trouvait toujours une réponse (vraie ou pas, c’était une autre affaire). Mais, quand un journaliste d’Allemagne fédérale lui demanda s’il était vrai qu’entre les patriarcats de Moscou et de Constantinople les relations étaient tendues, il répondit sèchement. « Vous posez cette question parce que vous souhaitez que ces relations soient tendues et aillent de mal en pis. Je suis navré de vous décevoir, car vous attendez en vain. Même s’il arrive que des désaccords surviennent entre nos patriarcats, nous en venons fraternellement à bout au moyen de négociations bilatérales, et nous espérons dans l’avenir parvenir à un accord complet. » De telles réponses étaient très appréciées des Grecs, qui se mirent à considérer l’archevêque Nicodème comme un « grand diplomate ».
Vers la fin de la Conférence, l’archevêque Nicodème sollicita à nouveau mon aide. Le prêtre Serge Heitz (38) qui, pour de complexes questions canoniques (39), ne parvenait pas à se faire accepter par la juridiction de Constantinople, s’était adressé à lui pour lui demander de le recevoir dans la juridiction du patriarcat de Moscou. Le père Heitz n’était pas membre de la Conférence panorthodoxe, il était venu à Rhodes spécialement pour rencontrer l’archevêque Nicodème et lui parler, ce qu’il put faire par l’intermédiaire de l’interprète Alexeïev. Mais assez rapidement, ils cessèrent de se comprendre et arrivèrent dans une impasse, car Heitz ne connaissait pas l’anglais et Alexeïev le français. Ils furent contraints de m’appeler.
Homme jeune, plein de forces et d’énergie, Mgr Nicodème courait plutôt qu’il marchait dans les couloirs et les salles où se déroulait notre Conférence et j’avais bien du mal à le suivre. Je le lui fis remarquer. « Monseigneur, ne courez pas ainsi. Pour les Grecs, c’est choquant de la part d’un hiérarque. Un hiérarque doit marcher majestueusement, lentement, avec retenue. Vous allez faire mauvaise impression ! » Mais l’archevêque Nicodème ne prêta pas attention à mes paroles. Treize ans plus tard, en juin 1973, alors qu’il venait de subir son premier infarctus, je vins le chercher à l’aéroport de Bruxelles ; il marchait si lentement que j’étais en permanence contraint de ralentir pour ne pas le devancer. Je lui rappelai notre conversation à Rhodes et comment je lui avais conseillé alors de ne pas courir. « Oui, vous aviez raison, me dit-il, et maintenant ce sont les docteurs qui m’interdisent de marcher vite. » Je voudrais aussi noter sa capacité à converser avec des personnes d’un genre tout à fait différent du sien. Il y avait à Rhodes, en tant que journaliste, un prêtre d’Amérique, le père Georges, un karlovtsien (40) fanatique, extrêmement hostile au patriarcat de Moscou en général et à l’archevêque Nicodème en particulier. Il lui demanda une entrevue en privé. Je ne sais pas ce que ce dernier lui dit mais à la fin de la conversation, le père Georges lui demanda sa bénédiction et par la suite raconta à Paris qu’en la personne de Mgr Nicodème, il avait rencontré un évêque véritable. À côté d’une telle finesse psychologique dans les contacts avec des personnes tout à fait différentes de lui, l’archevêque Nicodème manifestait, à l’époque, une certaine immaturité, ce dont témoigne l’épisode suivant.
Alors que nous nous trouvions encore sur le bateau vers Rhodes, je me rappelle que l’archevêque Nicodème et l’archimandrite Pierre (L’Huillier) — futur évêque titulaire de Chersonèse à Paris (41) —, assis sur le pont, bavardaient et riaient bruyamment. Le père Pierre se moquait de notre exarque à Paris, le métropolite Nicolas (Eremine), le dépeignant comme un homme de basse extraction, un ignorant, un « cosaque », et l’archevêque Nicodème riait à gorge déployée. Étant donné que le père Pierre ne parlait pas encore bien le russe à l’époque et que l’archevêque Nicodème ne parlait pas assez bien le grec, ils me demandèrent de faire l’interprète (j’étais assis non loin d’eux). Je me mis à traduire, mais comprenant que la conversation consistait en moqueries inadmissibles à l’endroit de notre exarque et que ces moqueries se faisaient à la cantonade, je cessai de traduire. En faisant cela, l’archevêque manifestait une absence de retenue et de sens des responsabilités, deux qualités qu’il allait acquérir par la suite à la perfection. Quant au père Pierre, il savait que ce qu’il disait allait plaire à l’archevêque Nicodème. Mais malgré tout, malgré les difficultés de notre première collaboration avec l’archevêque Nicodème, malgré son manque d’expérience et son assurance excessive, sa crainte de Varlamov qu’on lui avait adjoint, sa peur d’"échouer" aux yeux des autorités soviétiques (de perdre leur confiance) lors de sa première intervention sur la scène panorthodoxe, je suis prêt à admettre que c’est avec autorité et fermeté mais aussi avec habileté et tact qu’il défendit, à Rhodes, les intérêts de l’Église orthodoxe dans son ensemble et la dignité de l’Église russe en particulier. J’apprécie particulièrement sa résistance face aux prétentions du patriarcat de Constantinople à une primauté quasi papale, ainsi qu’aux tentatives du même patriarcat de monopoliser la préparation et la convocation du futur concile. C’était une résistance ferme sur le fond, mais souple et pleine de tact dans la forme, grâce à quoi l’unité de l’orthodoxie non seulement ne souffrit pas, mais en sortit même renforcée. Parmi les Grecs (mais pas tous), il acquit autorité et respect.
C’est à Paris, en été 1962, que je rencontrai de nouveau Mgr Nicodème, venu pour participer à une session du Comité du conseil œcuménique des Églises. S. N. Bolchakov (42), un homme aux nombreuses relations que j’avais bien connu à Oxford (où nous avions été voisins) et qui se trouvait à Paris à ce moment-là, me proposa d’organiser une rencontre entre l’archevêque Nicodème et le cardinal Tisserant (43), avec lequel Bolchakov était en très bons termes. Tisserant se trouvait alors en vacances en France, en Lorraine près de Metz, d’où il était originaire. Comme je le connaissais également, je répondis à Bolchakov que je ne désirais pas m’en mêler, ne sachant même pas si l’archevêque Nicodème accepterait une telle entrevue, cette question pouvant lui paraître délicate. Je suggérai à Bolchakov, s’il souhaitait organiser une telle rencontre, de s’adresser directement à l’archevêque Nicodème. C’est ce que fit Bolchakov et Mgr Nicodème accepta avec empressement de rencontrer le cardinal Tisserant. De fait, les travaux de la session du Comité une fois achevés, le 18 août 1962, l’archevêque Nicodème et moi, seuls, sans en parler à personne, prîmes le train pour Metz.
Nous fûmes accueillis en gare de Metz par un hiéromoine de Chevetogne, le père Théodore Strotmann (44), qui nous emmena chez des amis de Bolchakov où nous trouvâmes le cardinal Tisserant, Bolchakov lui-même ainsi que quelques autres représentants du clergé catholique. Un repas nous attendait, mais l’archevêque Nicodème, le cardinal Tisserant et moi, nous nous isolâmes d’abord dans une pièce voisine pour discuter. Bolchakov était fort mécontent de n’avoir pas été invité à participer à notre conversation. À plusieurs reprises, il frappa à notre porte ou l’entrouvrit, disant que le repas était servi et qu’on nous attendait, mais je répondais fermement. « Qu’ils attendent ! » Sans nous être concertés, nous entrâmes immédiatement dans le vif du sujet, à savoir la question de l’envoi d’observateurs au concile qui devait s’ouvrir au Vatican deux mois plus tard. L’archevêque Nicodème dit que ce problème n’avait pas encore été résolu par l’Église russe, mais qu’avant de prendre la moindre décision le patriarche et le Synode devaient connaître la nature des questions abordées par le prochain concile du Vatican. Quels en seraient le programme, les objectifs ? N’y adopterait-on pas des résolutions politiques dans l’esprit de la guerre froide qui rendraient impossible la présence de délégués de l’Église russe et les contraindraient à se retirer ? Il valait mieux, en effet, ne pas envoyer d’observateurs du tout plutôt qu’en envoyer et devoir les rappeler ensuite. Cela valait mieux pour les relations entre nos Églises. Le cardinal Tisserant répondit. « Le concile n’aura aucun caractère politique et n’entamera aucun combat contre le pouvoir soviétique. Il est vrai que je ne suis pas en mesure de garantir qu’il ne se trouvera pas, parmi les nombreux évêques et participants au concile, quelques personnes qui en feront la tentative. Nous ne pouvons pas le leur interdire, chacun est libre de s’exprimer, mais nous ferons notre possible pour les en dissuader et quoi qu’il arrive, le concile ne suivra pas cette ligne de conduite. Je vais vous donner un exemple. dans mes homélies, je ne dis jamais mot du pouvoir soviétique, du communisme ou du marxisme. En revanche, je prends souvent position contre l’athéisme. De même au concile. il sera question de l’athéisme, mais pas du pouvoir soviétique. » — « C’est votre droit le plus strict, répondit l’archevêque Nicodème, et nous ne voyons rien à y redire, bien au contraire. Ce qui nous importe, c’est que le concile n’entame pas de croisade contre le communisme et le pouvoir soviétique. Vos paroles nous rassurent sur ce point. »
L’archevêque Nicodème était manifestement satisfait, la discussion prit fin, nous repassâmes dans la pièce voisine pour déjeuner. À table, on ne parla ni du prochain concile du Vatican ni d’affaires ecclésiastiques en général et, malgré la curiosité manifeste des convives, nous ne dîmes rien du contenu de notre discussion dans la pièce voisine.
Je me souviens qu’à table l’archevêque Nicodème exprima l’opinion négative qu’il avait du clergé marié (il ne l’aimait pas), je protestai mais le cardinal Tisserant était de son avis. À ce moment-là déjà, ses sympathies catholiques commençaient à se manifester. Le jour même, l’archevêque Nicodème et moi reprîmes le train pour Paris et arrivâmes juste à temps pour le début de la vigile de la Transfiguration. Et, effectivement, à la suite de la rencontre de l’archevêque Nicodème et du cardinal Tisserant, des observateurs de l’Église orthodoxe russe (45)furent envoyés au concile du Vatican deux mois plus tard.
Ma rencontre suivante avec Mgr Nicodème, élevé peu auparavant au rang de métropolite (46), eut lieu lors de la deuxième Conférence de Rhodes, fin septembre 1963 (47). Cette fois, le métropolite Nicodème était venu seul de Moscou, sans interprète ni aucun « Varlamov ». J’étais le second représentant de l’Église russe et il n’y en avait pas d’autre. Je dois dire tout de suite que ses façons d’agir et son attitude à mon égard n’avaient rien de commun avec ce qu’elles avaient été lors de la première Conférence de Rhodes. Il me montrait tous les documents à l’avance, se concertait avec moi, me faisait participer à ses négociations avec les Grecs, même à celles qu’il appelait « privées ». Il existe une photographie où l’on nous voit assis à cinq à une table séparée, le métropolite Nicodème, le métropolite Méliton de Chalcédoine (président de la Conférence), le métropolite Justin de Iasi (48), un autre métropolite de Constantinople et moi ; nous sommes en train de discuter avec animation du programme de la Conférence. Je ne saurais expliquer précisément les raisons de ce changement d’attitude du métropolite Nicodème ; peut-être était-ce dû au fait qu’il n’était accompagné d’aucun « observateur », mais cela ne me semble pas un motif suffisant. Un changement intérieur s’était manifestement produit en lui, et plus jamais je n’eus avec lui de problèmes sérieux.
Contrairement à la première Conférence de Rhodes, la deuxième se déroula à effectifs restreints et le point principal à l’ordre du jour était la question de l’envoi d’observateurs orthodoxes au concile du Vatican qui venait de s’ouvrir. Par ailleurs, Constantinople souleva à l’improviste la question du commencement du dialogue théologique avec Rome. Sur la question des observateurs, des désaccords surgirent entre les Églises. La majorité s’était prononcée contre, mais grâce aux efforts du métropolite Nicodème, l’on trouva un compromis. Chaque Église locale se vit reconnaître le droit d’envoyer ou non des observateurs. Le métropolite Nicodème insista par ailleurs pour que les observateurs ne soient pas des évêques, la position d’observateur étant incompatible avec la dignité épiscopale. Tout cela indique que les opinions du métropolite Nicodème, à propos des catholiques romains, étaient modérées à cette époque. En ce qui concerne le dialogue théologique avec Rome, on arriva à un accord de principe mais, comme cette question ne figurait pas à l’ordre du jour de la Conférence, il fut décidé de reporter la décision à la prochaine conférence panorthodoxe, prévue l’année suivante. Cela n’alla pas sans mal. des objections furent émises par le métropolite Maxime de Lovetch (futur patriarche de Bulgarie) (49), lequel refusait de prendre une décision qui n’avait été ni discutée au préalable ni approuvée par l’Église bulgare. Il ne tenait pas en place sur son siège, faisait toutes sortes d’apartés avec le métropolite Nicodème. Mgr Nicodème lui conseillait avec insistance d’accepter la décision, soulignant qu’il ne s’agissait encore que d’un accord de principe. Il finit même par perdre patience et le métropolite Maxime céda. (Après la séance, le métropolite Nicodème me fit part de son mécontentement à propos du comportement du métropolite Maxime. « C’était gênant ! », me dit-il.)
Malheureusement, cette impression positive qu’avait produite sur moi le métropolite Nicodème et ses prises de position lors de la Conférence panorthodoxe fut gâchée par la dernière conversation que j’eus avec lui. Il se fait que pendant toute la durée de la Conférence, j’avais soigneusement évité de poser au métropolite Nicodème la moindre question sur la situation de l’Église en Russie. (Lui-même n’effleurait jamais ce sujet.) Je voulais lui éviter une situation embarrassante, pour ne pas l’obliger à mentir. À la fin de la Conférence cependant, nous fîmes ensemble le chemin vers l’aéroport d’Athènes, où nous avions chacun un avion à prendre, lui pour Moscou et moi pour Bruxelles. Nous eûmes quelques heures d’attente, sans accompagnateurs, en tête-à-tête. Soudain, de sa propre initiative et sans que je lui aie donné le moindre prétexte pour cela, le métropolite Nicodème se mit à parler de la situation de l’Église en Russie. « Je sais que, chez vous en Occident, beaucoup sont convaincus que l’Église est persécutée en Union soviétique. [On était en plein durant les répressions khrouchtchéviennes, quand les églises étaient fermées par milliers. — A. B]. En réalité, ce n’est pas cela ! Il est inexact de parler de la fermeture de paroisses. On pourrait plutôt définir ce qui est en train de se passer comme une « redistribution » ou un agrandissement des paroisses au bénéfice de la vie de l’Église. Il arrive par exemple que, dans des agglomérations de taille assez réduite, il y ait deux églises en fonctionnement, côte à côte, à quelques centaines de mètres de distance. C’est absurde ! Les paroisses se gênent entre elles, nous les réunissons donc et fermons l’une des deux églises. Il arrive aussi qu’une église qui fonctionne en pleine campagne ne soit fréquentée que par quelques croyants ou paroissiens, incapables de prendre en charge la présence d’un prêtre ou l’entretien du bâtiment. Ce sont eux qui nous demandent de fermer leur église.
La même chose peut arriver avec les séminaires. Vous avez probablement entendu dire que certains ont été fermés, eh bien, c’est uniquement parce qu’ils manquaient de séminaristes, ils étaient vides. D’ailleurs, ces séminaires avaient été ouverts pour répondre au grand manque de prêtres qui s’était fait sentir à la fin de la guerre. Mais maintenant, nous avons suffisamment de prêtres, nous n’avons donc pas besoin d’autant de séminaires. »
Jusque-là, j’avais écouté sans mot dire, mais je n’y tins plus et répondis que je ne pouvais pas croire que nous ayons une telle pléthore de clergé qu’on en fermait les séminaires, que j’avais au contraire entendu dire que certains pasteurs de l’Église avaient demandé l’ouverture de nouveaux séminaires. Je ne me souviens pas de la réponse du métropolite Nicodème, elle était peu claire. Je ne comprends toujours pas ce qui a poussé le métropolite Nicodème à me donner des informations aussi fausses sur la situation de l’Église en Russie. En admettant que des fermetures d’églises aient existé pour les raisons qu’il avait invoquées (deux églises côte à côte, ou trop peu de paroissiens), c’étaient là des cas isolés, alors qu’on assistait en réalité à la fermeture massive et forcée des paroisses, la démolition des églises (près de la moitié des églises existantes), etc. J’aurais pu comprendre que le métropolite Nicodème débite ces mensonges en public, lors d’une conférence de presse, mais pourquoi me dire des choses pareilles en tête-à-tête ? S’imaginait-il que j’allais le croire ? Une seule explication possible. à Moscou chez Kouroïedov, on lui avait donné l’ordre de le faire et il avait estimé plus « prudent » d’obéir à cette directive.
Au printemps 1964, l’archevêque Serge (Larine) (50), exarque pour l’Europe centrale, se rendit de Berlin à Paris. C’était une personnalité haute en couleur, il avait été évêque de l’Église vivante (51), avait été reçu au sein de l’église patriarcale comme simple moine, et ce n’est que plus tard qu’il avait de nouveau été intronisé évêque. Il bénéficiait de relations haut placées parmi les communistes, mais c’était un homme indépendant et bien informé. Je me trouvais alors à Paris et eus l’occasion de le voir, mais nos langues ne se délièrent (comme avec le métropolite Nicodème) qu’à l’aéroport du Bourget où nous attendions l’avion. Notre intéressante conversation en tête-à-tête se prolongea plus d’une heure. Avec une grande franchise, Mgr Serge se mit à raconter les terribles persécutions auxquelles l’Église de Russie était en butte ces dernières années, les fermetures massives d’églises, les violences, les arrestations. « Quel est le principal responsable de ces persécutions ? », demandai-je. — « C’est Khrouchtchev, répondit Mgr Serge d’un ton catégorique, c’est là son œuvre. »
Et l’archevêque Serge se mit alors à critiquer violemment Khrouchtchev, non seulement pour sa politique antireligieuse, mais pour son mode de gestion en général. « Je sais, par mes relations, qu’il y a contre lui un mécontentement généralisé, même dans les hautes sphères. Cela ne pourra continuer longtemps ainsi. Il y aura forcément du changement. » J’étais très impressionné par la façon courageuse dont s’exprimait cet archevêque « soviétique » à propos du chef du gouvernement soviétique, jamais je ne devais revoir pareille franchise. Par la suite, j’allais aussi être très impressionné de la justesse de ses prophéties par lesquelles, six mois avant que cela n’arrive, il avait prédit la chute de Khrouchtchev (52). Mais l’information la plus précieuse était pour moi sa désignation de Khrouchtchev comme principal responsable des persécutions contre l’Église. Nous comprenions parfaitement qu’il se passait quelque chose de terrible, qu’on anéantissait véritablement ce qui restait de l’Église sous le régime soviétique, mais n’avions pas une idée bien précise du rôle de Khrouchtchev en la matière, sa réputation d’acteur libéral du « dégel » et d’antistalinien brouillait les pistes. Mais Mgr Serge le désignait franchement, sans faux-semblants. Je lui en étais très reconnaissant. « Vous me dites ces choses-là, lui demandai-je encore, mais le métropolite Nicodème lui, s’étant récemment trouvé en Occident, a affirmé lors d’une interview qu’il n’y avait pas trace en Russie de persécutions contre la foi et l’Église. » — « C’est une honte !, s’écria l’archevêque Serge. Il se déshonore en agissant de la sorte ! Quand on ne peut pas la vérité, on se tait. À quoi bon donner des interviews ? Moi, je n’en donne jamais. »
Durant l’année 1964, j’eus encore à plusieurs reprises l’occasion de rencontrer Mgr Nicodème (entre-temps devenu métropolite de Leningrad et de Ladoga (53), et ensuite de Novgorod aussi (54)). Une première fois en mars, à Driebergen (Pays-Bas), où il prenait part à une conférence œcuménique ou pacifiste. Il me demanda de lui rendre visite et je vins en compagnie de l’higoumène (devenu par la suite archimandrite) Corneille (55). Lors de notre entrevue avec Mgr Nicodème, l’higoumène Corneille lui montra un journal qui publiait en exclusivité des appels lancés par les croyants d’Union soviétique au sujet de persécutions dans la province de Minsk et surtout à Potchaïev (56).
Le métropolite Nicodème parcourut rapidement le texte et perdit sa contenance et son habituelle maîtrise de soi. Il était évident qu’il n’avait jamais vu ce document auparavant. « Eh bien, il va falloir vérifier cela, bredouilla-t-il, déterminer la part de vérité et comprendre comment cela a pu passer la frontière. » Il prit le journal et s’éloigna. Quelques heures plus tard, il réapparut, parfaitement calme et dit. « Tout ceci est de la propagande antisoviétique dans l’esprit de la guerre froide, c’est probablement fabriqué de toutes pièces en Occident. C’est truffé d’inexactitudes et de mensonges, n’y accordez aucun crédit ! »
Vers la fin du mois de septembre de la même année, le patriarche Alexis accepta l’invitation de l’Église anglicane à venir en Grande-Bretagne. Il était accompagné de tout un groupe de personnalités, dont le métropolite Nicodème. Pour rencontrer le patriarche, je me rendis aussi à Londres. Ce dernier me reçut et j’eus plusieurs entretiens avec le métropolite Nicodème.
À Londres, le jour de la Théophanie (57), une procession et une bénédiction des eaux avaient été célébrées par des orthodoxes, sur la Tamise, en guise de protestation contre la persécution de l’Église en Union soviétique. Notre exarque, l’archevêque (futur métropolite) Antoine, avait présidé la célébration.
L’archiprêtre Vladimir Rodzianko (58) de l’Église de Serbie avait tenu un discours enflammé contre ces persécutions (Mgr Antoine n’avait rien dit personnellement). Cette célébration ayant été annoncée à l’avance dans les journaux, l’événement attira une grande quantité de personnes et l’affaire fit beaucoup de bruit. On comprendra aisément que cette manifestation déplut fortement aux bolcheviks qui se mirent à faire pression sur le patriarcat de Moscou pour que l’exarque Antoine soit démis de ses fonctions. Le patriarcat résista aussi longtemps qu’il put, mais finit par céder, tout en décidant de procéder « de façon digne ».
La tâche leur fut simplifiée par le fait que Mgr Antoine, malgré ses évidentes qualités personnelles en tant que pasteur et prédicateur et son talent pour attirer les gens à l’église, avait aussi de gros défauts en tant qu’administrateur (il ne répondait pas aux lettres et ne venait jamais à Paris, y négligeant les affaires de l’exarchat, ce qui avait suscité un flot de plaintes au patriarcat de Moscou). Mais en Grande-Bretagne, les affaires pastorales de Mgr Antoine étaient irréprochables et n’expliquaient pas l’insistance que mettait Kouroïedov à vouloir l’éloigner. Toujours est-il que la délégation du patriarcat menée par Sa Sainteté se mit en route pour Londres, déterminée à demander à l’archevêque Antoine de démissionner de ses fonctions d’exarque (tout en restant archevêque diocésain en Grande-Bretagne). Ayant appris cela à Genève, le père Vital Borovoï, notre représentant auprès du Conseil œcuménique des Églises, ressentit une vive inquiétude. Il monta dans l’avion du patriarche qui avait fait escale à Genève et — comme le père Borovoy me le raconta lui-même — tenta pendant toute la durée du vol de convaincre le métropolite Nicodème de ne pas exiger le départ de Mgr Antoine, car ce dernier jouissait d’une grande popularité en Occident, dans les cercles non orthodoxes et œcuméniques, sans parler des orthodoxes. Le père Vital disait que cette mise à la retraite porterait un coup énorme au patriarcat de Moscou et serait (justement !) interprétée comme de la persécution antireligieuse. « Je réussis à convaincre Mgr Nicodème et il me promit de ne pas se mêler de cette affaire, ou du moins de ne pas insister sur la nécessité du départ de Mgr Antoine », me raconta le père Vital.
Apparemment, le métropolite Nicodème tint sa promesse. La veille de son départ, le patriarche reçut, le soir, en présence du métropolite Nicodème, chacun des évêques de notre exarchat en entretien privé. Quand vint mon tour, je lui transmis une lettre de Denis Chambault, notre archimandrite de Paris (59). Sans la lire, le patriarche me dit. « Dites-moi, que s’est-il passé entre le père Denis et le métropolite Nicolas, votre ancien exarque ? Pourquoi sont-ils brouillés et refusent-ils de collaborer ? » — « Ce n’est pas seulement le cas du père Denis, répondis-je, personne ne pouvait travailler avec Mgr Nicolas. C’est un homme aux nerfs extrêmement sensibles, très soupçonneux, c’est pourquoi cela a été un véritable soulagement pour nous de le voir partir et être remplacé par Mgr Antoine. » C’était la pure vérité, mais, connaissant la situation, je voulais souligner les qualités de Mgr Antoine et lui manifester mon soutien. « Ah bon ? Mais il ne semble pourtant pas à la hauteur de ses responsabilités d’exarque ! », s’étonna le patriarche. Je répondis que Mgr Antoine n’était peut-être pas exempt de quelques défauts du point de vue administratif, qu’il ne répondait pas aux lettres et ne se rendait pas à Paris, mais que nous étions prêts à endurer cela, l’important étant qu’il était un bon pasteur et père spirituel, qu’on l’aimait et l’appréciait, au-delà même de la Grande-Bretagne.
« C’est vrai, c’est un bon prêtre de paroisse », répondit le patriarche. Tout au long de cette conversation, le métropolite Nicodème qui était présent garda le silence, ne se mêla de rien. Au sortir de chez le patriarche, je compris que la position du métropolite Antoine était sérieusement affaiblie et décidai de l’avertir de la teneur de cette conversation.
Ce n’est que le matin suivant que je le rencontrai, quand nous prîmes le thé dans sa maison où j’étais hébergé en compagnie de l’évêque Alexis (Van der Mensbrugghe). « Hier, le patriarche m’a proposé de partir à la retraite, dit soudain Mgr Antoine, et m’a demandé de préparer une lettre de démission et de la lui remettre. » Nous ressentîmes un grand choc même si, après ma conversation de la veille avec le patriarche, cette nouvelle n’avait rien pour m’étonner. Mgr Antoine nous donna quelques détails. « Le patriarche m’a reçu tard hier soir. Pendant que j’attendais mon audience, je vis s’approcher de moi Daniel Andreïevitch Ostapov (qui était officiellement secrétaire particulier du patriarche, laquais héréditaire de la famille Simansky (60), personnalité douteuse, surnommé Daniel « de toutes les Russies » ou Daniel « par qui tout a été fait » — A. B.) qui se mit à m’interroger en détail sur ma santé, sur un éventuel surmenage dans la gestion de mes affaires, me demandant si je parvenais à tout faire, si la charge d’exarque n’était pas trop lourde pour moi, etc. ». L’archevêque Antoine, par modestie, répondit que oui, sa tâche était difficile, qu’il avait du mal à tout faire, que sa santé n’était pas bonne… (mais cela ne signifiait pas qu’il renonçait à sa charge d’exarque). Après cet interrogatoire, Ostapov alla dire au patriarche que Mgr Antoine reconnaissait lui-même ne pas être à la hauteur de ses obligations et les trouvait pesantes. Quelques instants après, le patriarche appela l’archevêque Antoine et lui dit d’emblée. « J’ai entendu dire que vous ne parveniez pas à accomplir toutes vos obligations d’exarque et que vous les trouviez pesantes. Je vous propose de donner votre démission de ces fonctions pour raison de santé. Je vous demanderai d’écrire votre lettre pour demain matin et de me la remettre avant mon départ de Grande-Bretagne. »
« C’est ce que j’ai fait, j’ai rédigé ma lettre et je vais de ce pas la remettre au patriarche », dit l’archevêque Antoine en conclusion de son récit. (J’ajouterai tout de même qu’ensuite l’archevêque Antoine fut décoré de l’ordre de Saint-Vladimir de première classe (61), officiellement pour avoir organisé l’accueil de la délégation en Angleterre, mais en réalité pour lui faire « avaler la pilule » de sa retraite).
Quant à l’archiprêtre Vital Borovoï, commentant le rôle joué par D. A. Ostapov dans cette affaire, il me dit. « La façon dont a été organisée la mise à l’écart de Mgr Antoine a démontré, avec la clarté la plus aveuglante, le rôle d’Ostapov en tant qu’agent de Kouroïedov et du KGB. Ostapov a mené à bien ce que le métropolite Nicodème avait refusé de faire. »
Le séjour du patriarche à Londres fut aussi parsemé d’incidents désagréables pour le métropolite Nicodème.
Tout commença quand l’archevêque Antoine insista pour que le métropolite Nicolas (Eremine), notre ancien exarque, soit invité à l’occasion de la venue du patriarche. L’archevêque Antoine voulait ainsi « consoler » l’ex-exarque de sa mise à l’écart (il avait été retraité un an et demi auparavant), mais aussi lui donner l’occasion, comme il l’avait demandé lui-même, de rencontrer le patriarche et de lui faire part de ses griefs contre le métropolite Nicodème. Officiellement, le métropolite Nicolas fut invité par l’archevêque de Canterbury Michael Ramsay (62), qui le considérait comme une « victime des persécutions » et l’avait invité pour « contrarier » Mgr Nicodème qu’il ne pouvait pas supporter, bien que ne le connaissant pas personnellement.
Les différends entre l’archevêque Michael Ramsay et le métropolite Nicodème surgirent presque immédiatement après une intervention publique (ou une conférence de presse) durant laquelle le métropolite Nicodème avait parlé des libertés religieuses en URSS « dans les limites de la Constitution » (que signifiait cette formulation prudente ?).
En réponse à cette intervention du métropolite Nicodème, l’archevêque Michael Ramsay lui dit. « Nous ne pouvons exiger de vous que vous disiez toute la vérité en public, mais vous ne devez pas mentir de manière éhontée ! » Furieux, le métropolite Nicodème répondit d’un ton sec qu’il n’admettait pas qu’on lui fasse de telles remarques.
Durant ce séjour londonien, de tels incidents se reproduisirent à plusieurs reprises. Par exemple, lors du dîner de gala donné en l’honneur du patriarche par l’archevêque de Canterbury, le patriarche, naturellement, était assis à coté de l’archevêque Ramsay — ou peut-être face à lui —, mais la seconde place avait été attribuée non pas au métropolite Nicodème, ce qui pourtant aurait semblé de mise, mais à notre ancien exarque le métropolite Nicolas, « victime des persécutions » ! Quant au métropolite Nicodème, on l’avait placé bien plus bas, à côté de l’ambassadeur britannique à Moscou. « Nous pensions que le métropolite Nicodème serait intéressé de rencontrer notre ambassadeur à Moscou et que cela pourrait même être utile à l’Église russe, d’autant que notre ambassadeur comprend le russe, me dirent par la suite les anglicans d’un air naïf, même si nous croyons plutôt qu’il s’agissait là d’un « coup » de l’archevêque de Canterbury. »
Quoi qu’il en soit, le métropolite Nicodème fut mortellement vexé. Il s’assit certes à la place qui lui avait été indiquée, mais il prit un air renfrogné ne toucha pas à son dîner et n’adressa pas un mot à ses voisins. Cet épisode provoqua pour de longues années un sentiment hostile du métropolite Nicodème envers l’Église d’Angleterre. Je dois dire qu’après le départ à la retraite de l’archevêque de Canterbury Michael Ramsay et son remplacement par l’archevêque Coggan (63), cette hostilité envers l’Église anglicane s’adoucit beaucoup, les relations se normalisèrent pour redevenir tendues au moment où les anglicans acceptèrent l’ordination des femmes (64).
Presque immédiatement après mon voyage en Grande-Bretagne, je reçus une invitation du patriarcat pour me rendre à Moscou, où je passai quinze jours (du 5 au 20 octobre 1964). C’était mon premier voyage après un intervalle de quatre ans. La raison officielle de cette invitation était la remise d’un diplôme de docteur en théologie de l’académie de théologie de Leningrad pour ma publication du texte grec des Catéchèses de saint Syméon le Nouveau Théologien (65). Mais j’avais aussi l’impression qu’après la demande de démission de l’archevêque Antoine, le patriarcat lui cherchait un remplaçant et désirait voir dans quelle mesure je pourrais faire l’affaire. Fort de ce pressentiment, je fis tout ce qui était en mon pouvoir pour saboter ma propre candidature, car non seulement je ne voulais absolument pas être exarque, mais je désirais encore moins prendre la place du populaire Mgr Antoine, après qu’il eut été limogé ; tout le monde me l’aurait reproché.
Le lendemain de mon arrivée, je fus invité à dîner à la résidence secondaire du métropolite Nicodème près de Moscou, au lieu-dit Serebrianny Bor. C’était une grande datcha de bois construite sur une île de la Moskova, entourée d’une forêt de pins. Toute la nomenklatura soviétique y avait ses datchas et on avait autorisé le métropolite Nicodème à acquérir cette maison pour lui permettre d’y recevoir ses hôtes étrangers et les hauts responsables soviétiques ; il y habita longtemps. La maison était meublée de façon remarquable, bien qu’on y fasse constamment des travaux, démolissant l’ancien pour reconstruire du nouveau. Il y avait là une splendide collection d’icônes anciennes ! Je n’ai jamais rien vu de pareil.
Une surprise m’attendait. P. V. Makartsev, collaborateur de Kouroïedov au Conseil aux affaires religieuses (ou quelle que soit la dénomination de cet organisme à ce moment-là. comme pour la Tcheka, la dénomination changeait souvent, mais la substance ne variait pas).
Je fus étonné par cette rencontre inattendue. Nous dînâmes, le métropolite Nicodème présidant le repas, j’étais assis à sa droite, Makartsev à sa gauche, face à moi. Il avait l’air parfaitement à l’aise dans cette maison, on voyait qu’il y venait souvent. On disait qu’avec le métropolite Nicodème, ils se tutoyaient, mais je n’en fus pas témoin. On m’a également affirmé que le métropolite Nicodème le faisait boire pour obtenir ensuite des concessions au profit de l’Église ou la solution de telle ou telle question, mais je ne sais pas si c’est vrai. Cela dit, les cas où des hiérarques faisaient boire des représentants du pouvoir soviétique pour le bien de l’Église étaient monnaie courante en Union soviétique. C’était, dit-on, la méthode préférée de l’archevêque catholique-romain de Riga. Ce soir-là en tout cas, Makartsev resta parfaitement sobre. Avant le repas, on nous proposa du cognac. Comme je déteste cette boisson, je refusai. « Eh bien, Mgr Basile, votre vie en Occident vous fait oublier les traditions russes ? », fit sarcastiquement remarquer Makartsev. — « De quelle tradition parlez-vous ?, rétorquai-je. La tradition en Russie, c’est de boire de la vodka avant le repas et non du cognac. » Il y eut un moment de confusion, le métropolite Nicodème commanda, malgré mes protestations, qu’on nous apporte de la vodka, et immédiatement l’on nous en apporta de la pièce voisine. Mais je n’en bus pas, car je n’aime pas cela. Par la suite, on ne nous servit que du vin.
La conversation à table se poursuivit, d’une manière étrange, sur des thèmes « patriotiques ».
« Alors, vous avez pris un avion soviétique pour venir ? », me demanda Makartsev. — « Non », répondis-je. — « Pourquoi n’avez vous pas pris un de nos avions ? » — « Il n’y avait pas de vol avec Aeroflot ce jour-là. Si j’avais attendu d’en avoir un, je serais arrivé en retard pour les célébrations à la laure. » — « Assistez-vous aux célébrations de nos grandes fêtes nationales à l’ambassade soviétique, à la fête de la révolution d’Octobre et pour le premier mai ? Recevez-vous des invitations pour ces fêtes ? » — « Non, dis-je, on ne m’invite pas et je n’y vais pas. » — « Voulez-vous que nous écrivions pour ce que vous soyez invité ? », demanda vivement Makartsev. À ce moment, le métropolite Nicodème se mêla à la conversation. « Mgr Basile vit à l’étranger de façon permanente et il n’a absolument pas besoin de fréquenter les réceptions de l’ambassade. Cela ne causerait que du tort à notre Église là-bas, car les paroissiens en seraient indignés. Ne faites rien pour qu’il soit invité. » — « Je suppose que vos fidèles sont des émigrés de l’intelligentsia d’ancien régime ? », demanda alors Makartsev. — « Oui, répondis-je, pour la plupart d’entre eux, c’est la vieille diaspora russe. Mais il y a aussi des Belges et des Français convertis à l’orthodoxie (66). »
Notre dîner se passa ainsi, en conversations somme toute superficielles et je commençais à me demander dans quel but on m’avait fait rencontrer Makartsev quand je vis soudain le métropolite Nicodème prendre un air concentré, pensif, puis échanger un regard avec Makartsev. Enfin, après un bref moment de silence, il dit d’une voix grave (je compris immédiatement que les choses sérieuses avaient commencé). « Nous avons été extrêmement décontenancés par la demande de démission de Mgr Antoine, nous ne nous attendions vraiment pas à cela. Qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête ? Il nous a fait beaucoup de peine. » Mon cœur se mit à battre plus fort ; comme nous le savons, la réalité était tout autre. Mais c’était à mon tour d’être étonné. Mgr Nicodème était-il vraiment assez naïf pour supposer que l’archevêque Antoine ne m’avait rien raconté des circonstances réelles de sa démission, de qui émanait l’initiative et comment tout avait été « bien » organisé ? Mais le métropolite Nicodème était loin d’être naïf, c’était donc une manœuvre consciente qui visait à me faire endosser et entériner la version officielle. la démission volontaire de Mgr Antoine, prise de sa propre initiative et pour raisons de santé. « Selon ce que je sais, répondis-je, c’est le patriarche qui a proposé à Mgr Antoine de donner sa démission des fonctions d’exarque. Et nous sommes tous très affligés de cette situation et de son départ. » À cet instant, Makartsev intervint dans la conversation et de concert avec le métropolite Nicodème se mit à critiquer l’archevêque Antoine dans ses fonctions d’exarque, disant qu’il négligeait les affaires courantes, ne répondait jamais à son courrier, qu’il y avait eu des plaintes contre lui, etc. « En tout cas, en Grande-Bretagne tout le monde en est très content, répondis-je, et même à Paris tout ne va pas si mal. Nous l’apprécions beaucoup en tant qu’homme et en tant qu’exarque, bien plus que son prédécesseur le métropolite Nicolas. » — « Bien entendu, celui-là, c’était un cosaque, il était plus à l’aise avec sabre à la main, qu’en célébrant la liturgie », dit Makartsev en riant. — « C’est inexact, rétorquai-je, pendant la guerre, le métropolite a été réformé pour raisons de santé et a travaillé dans l’administration à l’arrière du front. Il n’a jamais manié le sabre de sa vie. Quant à Mgr Antoine, nous apprécions ses qualités tant pastorales que personnelles. De plus, il jouit d’une large notoriété et popularité dans les milieux chrétiens occidentaux, son départ va faire grand bruit en Occident et sera considéré comme de la persécution antireligieuse. » Ce dernier argument avait visiblement produit une certaine impression sur Makartsev. Il réfléchit et demanda. « Eh bien, que devrions-nous faire, selon vous ? » — « C’est très simple, répondis-je, il suffit de refuser la démission de l’archevêque Antoine et le maintenir dans ses fonctions d’exarque. »
Nous en restâmes là. La déception était peinte sur les visages de mes interlocuteurs. Je n’avais pas répondu à leurs attentes. Ils pensaient que j’allais me joindre à eux pour critiquer l’archevêque Antoine et que j’approuverais sa mise à l’écart. Mais ma défense de Mgr Antoine les avait déçus et leur conviction que j’accepterais de collaborer avec eux s’était avérée une illusion. En un mot, ma candidature n’était plus à l’ordre du jour, cette séance d’évaluation avait été un échec, ce dont j’étais très heureux !
En fin de compte, le résultat de cette conversation s’avéra tout à fait positif pour l’archevêque Antoine. La réunion du Saint-Synode durant laquelle devait être examinée la demande de démission de l’archevêque Antoine et la nomination d’un nouvel exarque fut, comme me l’apprit le prêtre qui me servait d’accompagnateur à Moscou, simplement annulée au dernier moment. Par après, Mgr Antoine fut convoqué à Moscou, eut une entrevue avec Kouroïedov et Makartsev, et non seulement ne fut pas démis de ses fonctions d’exarque mais confirmé dans celles-ci, et même promu au rang de métropolite.
Deux jours après mon dîner chez le métropolite Nicodème, j’assistai aux célébrations de la saint Serge à la laure (67). Pendant les vigiles à la cathédrale de la Trinité, j’entrai en conversation avec un jeune hiéromoine dont j’ai oublié le nom. Il avait été hiérodiacre auprès du métropolite Nicodème. « Je l’aimais et le respectais pour ses nombreuses qualités, me dit-il, puis nous avons cessé de nous entendre. Quand je lui racontais les innombrables cas de persécutions contre les croyants, sa réaction était toujours la même. « Ils n’ont à s’en prendre qu’à eux-mêmes ! Ce sont les imbéciles qui s’attirent les coups ! » Jamais je ne l’ai entendu prononcer la moindre parole de sympathie pour les victimes de la foi, il prenait toujours la défense des persécuteurs, il les justifiait. Les croyants étaient — pour lui — toujours coupables d’avoir enfreint la loi soviétique, ou alors c’étaient des naïfs, incapables de saisir toute la complexité de la position de l’Église et de la voie qu’elle suivait dans les circonstances actuelles. J’ai fini par n’y plus tenir, j’ai rompu avec le métropolite Nicodème et j’ai quitté son service. »
Deux jours plus tard, je me rendis à Leningrad, à la séance de clôture de l’académie de théologie, pour la fête du saint apôtre Jean le Théologien (68). Le métropolite Nicodème me remit le diplôme de docteur, me donna l’accolade, prononça un chaleureux discours de bienvenue. Tout cela se déroula de manière particulièrement solennelle et majestueuse. Pour la fête de la Protection de la Mère de Dieu (69), j’étais de nouveau à la laure de la Trinité-Saint-Serge pour la séance de clôture de l’académie de théologie de Moscou. J’y rencontrai par hasard l’archevêque Hermogène (Goloubiov) de Kalouga et Borovsk (70) qui allait bientôt être mis à la retraite. Entre autres choses, je lui demandai quelle opinion il avait du métropolite Nicodème. « Il n’est pas des nôtres, me répondit Mgr Hermogène, il ne sert pas l’Église, mais l’État. Ou dans le meilleur les cas, il sert à la fois l’un et l’autre. Des comme ça, nous n’en avons pas besoin. Mais malgré tout, il vaut mieux que bien d’autres. »
À peine rentré de Moscou à Bruxelles, je dus presque immédiatement prendre l’avion pour Athènes où je retrouvai le métropolite Nicodème qui était venu pour participer, comme moi, à la troisième Consultation panorthodoxe sur l’île de Rhodes (1-15 novembre 1964) (71). Il était accompagné de l’archimandrite Philarète (notre exarque actuel) (72), ainsi que de l’évêque Élie, actuel patriarche de Géorgie (73). Pendant la Consultation, nous déjeunions à trois à une table séparée et nos conversations étaient animées. Je me souviens que la fête de la Révolution d’Octobre tomba pendant le séjour. Étant donné qu’il s’agissait d’un samedi et d’un dimanche (jours où il n’y avait pas de réunions), le métropolite Nicodème décida de se rendre à Athènes, pour assister à la réception de l’ambassade d’URSS. Il nous en informa pendant le repas. « Monseigneur, ne faites pas cela, lui dis-je, tout le monde va vous juger. On dira qu’un métropolite orthodoxe a préféré assister à une réception officielle au contact avec ses confrères. Le dimanche, outre la liturgie, il est prévu de nous emmener en bateau visiter le monastère de l’île de Symi. Ce sera intéressant pour vous et même utile à notre travail. Vous pourrez échanger avec les participants de la Conférence. » Mgr Nicodème ne répondit rien, mais ne se rendit pas à Athènes, se faisant représenter par l’un des interprètes. Alors l’évêque Élie, un homme à l’humour oriental caustique et qui aimait plaisanter, se mit à ironiser devant le métropolite Nicodème et l’archimandrite Philarète. « Comment, Mgr Basile, vous n’allez pas aux célébrations de la Révolution d’Octobre ? Quel manque de patriotisme ! Tout citoyen soviétique se doit d’assister à une telle fête ! » — « Mais je ne suis pas citoyen soviétique », répondis-je. — « Comment ? Vous n’êtes pas citoyen soviétique ? C’est impossible ! Et le patriarcat le tolère et n’exige pas que vous preniez la citoyenneté soviétique ? C’est incroyable ! » Cette tirade de l’évêque Élie était adressée sur un ton persifleur, quasi moqueur, au métropolite Nicodème. Ce dernier répondit. « Vous vous faites des idées, Mgr Basile est libre d’avoir la citoyenneté qui lui chante, cela nous est parfaitement égal. »
Je rapporterai encore un épisode, que j’ai retenu. Pendant la Conférence, des vigiles furent célébrées dans l’une des églises de Rhodes et le métropolite Nicodème y prononça une homélie courte, mais de bonne tenue, quoique teintée d’une discrète pointe de propagande soviétique. Le professeur Bratsiotis (de la faculté théologique d’Athènes) qui se tenait à mes côtés me fit remarquer, en commentant les paroles du métropolite Nicodème d’une voix suffisamment forte pour se faire entendre de notre entourage. « Khrouchtchev savait qui il envoyait ! »
Il faut préciser que Khrouchtchev était considéré à l’époque, par les Grecs, comme un libéral et un homme exceptionnel (son rôle de persécuteur de l’Eglise était alors très peu connu). C’est pourquoi les paroles de Bratsiotis devaient être interprétées comme un compliment au métropolite Nicodème ; Khrouchtchev avait apprécié ses remarquables qualités à leur juste valeur.
Je souhaiterais encore ici mentionner un autre point à propos de la conférence de Rhodes. Des années plus tard, je lus dans les journaux, une déclaration du métropolite Augustin de Kozani, de l’Église de Grèce, qui n’avait pas assisté à la conférence de Rhodes, mais affirmait que pendant toute la durée des travaux, le métropolite Nicodème avait été pendu au téléphone avec le Kremlin ; il aurait reçu ses instructions du gouvernement soviétique et rendu compte de l’avancée des travaux. Je peux certifier que c’est un mensonge. Ma chambre d’hôtel à Rhodes était voisine de celle de Mgr Nicodème et à travers la cloison (fine, malheureusement) qui nous séparait, j’entendais sans le vouloir distinctement chacune des paroles qu’il prononçait assez fort dans ses conversations avec Moscou. Pas une fois, il ne parla à une institution ou à un fonctionnaire soviétique, il appela exclusivement le Département des relations extérieures du patriarcat et ne parla qu’à des membres du clergé. Il ne demandait d’instructions à personne, mais il racontait en détail les développements des travaux de la Conférence. J’ajouterai que les représentants du patriarcat de Constantinople passaient leur temps au téléphone avec le patriarche Athénagoras et que c’est lui qui leur demanda d’accepter une solution de compromis. Sans compter qu’il y avait là, par ailleurs, de nombreux représentants du ministère grec des affaires étrangères, et que les Grecs, surtout les membres de l’Église de Grèce, se réunissaient constamment avec eux et écoutaient leurs instructions, ce qui me semble déjà moins normal.
Je me rappelle aussi qu’à Rhodes, nous fîmes la connaissance d’un politicien grec local, démocrate convaincu, qui nous fit part de ses — sincères, me semble-t-il — convictions russophiles (mais non soviétophiles). Il attaquait ouvertement le communisme, disant que c’était là un système tyrannique et barbare. Le métropolite Nicodème l’écouta sans rien dire et ne lui opposa pas le moindre argument. Le Grec en vint à parler de Venizélos (premier ministre de Grèce, 1864-1936) et de son affrontement avec le roi Constantin. « Mais qui était Venizélos ? », me demanda tout à coup le métropolite Nicodème. Il se fait qu’il n’avait jamais entendu parler ni de Venizélos, ni de Constantin. Je fus frappé d’une telle lacune, résultat d’une éducation soviétique unilatérale et de l’isolement dans lequel les gens qui habitaient là-bas se trouvaient vis-à-vis du reste du monde.
Pour en terminer avec les aspects « politiques » de la conférence de Rhodes, je raconterai encore qu’alors que nous étions déjà rentrés à Athènes et que nous quittions un matin notre hôtel en voiture, nous eûmes une surprise. À la sortie nous attendait un groupe de cinq à sept hommes assez costauds qui, nous voyant, s’écrièrent en chœur, comme des militaires. « Yia sou, Nikodime ! » (« Salut, Nicodème ! », en langue grecque démotique). C’était apparemment une manifestation organisée par les communistes locaux, à moins que ce ne fût une provocation de la police dans le but de savoir quelle serait la réaction du métropolite Nicodème. Mais celui-ci ne réagit en aucune manière, il resta impassible sur son siège, pas un muscle de son visage ne tressaillit. Nous ne reparlâmes jamais de cet incident avec lui.
La conférence de Rhodes impliquait un grand nombre de déplacements, aussi bien à l’intérieur de la ville, que lors de pèlerinages dans les environs. Nous faisions ces déplacements en voiture avec le métropolite Nicodème, ce qui me donna l’occasion d’avoir avec lui de nombreuses conversations théologiques. Il est vrai que ces conversations revenaient plutôt à une sorte d’examen que je lui faisais passer, mais il parlait volontiers, répondait de bonne grâce à mes questions et m’en posait parfois aussi. Suite à ce long « examen », je suis en mesure d’affirmer que les récits des personnes hostiles au métropolite Nicodème qui l’accusent d’être ignare en théologie, de ne pas connaître les textes liturgiques, etc. sont loin de correspondre à la réalité. Il est indéniable que le métropolite Nicodème était un homme à l’esprit plutôt pratique que théologique. Ce n’était pas un théologien érudit (ni, a fortiori, un théologien profond) comme on l’a beaucoup dit dans ses nécrologies, mais il possédait cependant une culture théologique solide et étendue, particulièrement en ce qui concerne l’ordo liturgique et le typikon, culture parfaitement suffisante pour un évêque. Un évêque n’est en effet pas un professeur, on n’a pas à en attendre des merveilles du point de vue de la théologie. Je puis ajouter qu’avec les années ses connaissances ne cessèrent de se développer et de s’étendre.
La IIIe Conférence panorthodoxe dépassa en nombre de participants toutes les conférences orthodoxes de ce type. Les travaux en furent principalement consacrés à la question du commencement d’un dialogue théologique avec les non-orthodoxes, à savoir les catholiques, les anglicans et les vieux-catholiques. Nombre de difficultés et de désaccords surgirent à ce sujet. Ce n’est que grâce à des négociations « privées », diurnes et nocturnes, parfois jusqu’au matin, qu’on arriva à les surmonter. Et, une fois encore, ce fut largement grâce à la détermination, à l’habileté diplomatique et surtout la modération du métropolite Nicodème qui pensait toujours à l’unité panorthodoxe et à la nécessité de ne pas la rompre. Suite à cela, il acquit une certaine autorité à l’échelle panorthodoxe, mais aussi au sein de notre délégation. Ainsi, alors que nous déjeunions, comme à l’accoutumée, à une table séparée, nous nous lançâmes dans une discussion au sujet de la reconnaissance du patriarcat de Moscou par les Grecs à la fin du XVIe siècle lors de conciles locaux qui s’étaient tenus à Constantinople et au sujet du cinquième rang qui lui avait alors été proposé dans l’ordre des diptyques (74). Le métropolite Nicodème exprima son regret du fait que le patriarcat de Moscou ne se soit pas vu proposer un rang plus élevé et émit l’opinion qu’à l’époque dont nous parlions, il aurait été possible d’obtenir cela. « Cela n’a pas été fait à cette époque parce que vous n’y étiez pas, dit l’archimandrite Philarète. Si vous y aviez été, vous l’auriez obtenu. »
On sentait que c’était bien là sa conviction profonde et non de la flatterie.
Je me souviens ici d’une autre conversation, bien qu’elle ne soit pas déroulée à Rhodes. Le métropolite Nicodème m’exprima un jour sa déception et son étonnement de ce que l’ancienne Russie n’avait pas réussi à prendre Constantinople et à replacer la croix sur Sainte-Sophie. « Maintenant, c’est malheureusement devenu impossible. » — « Oui, répondis-je, d’abord, ce sont les Anglais qui l’ont empêché, et la Russie n’a pas voulu entamer une grande guerre pour Constantinople, puis quand c’était devenu presque possible, la révolution y a fait obstacle. »
En quoi consistait, cependant, la popularité incontestable et de l’autorité dont jouissait le métropolite Nicodème dans le monde orthodoxe, dans les milieux œcuméniques et en Occident en général ? Car on a vu qu’au sein de l’Église russe, si son pouvoir n’était pas discuté, son autorité morale était beaucoup plus contestée. Je tenterai de répondre à cette question de façon aussi complète qu’impartiale.
La première et fondamentale raison de l’influence exercée par le métropolite Nicodème était, sans conteste, sa personnalité hors du commun, son esprit vif et très pratique. C’était une nature volontaire et un fin psychologue, un leader naturel. Il avait quelque chose d’un hypnotiseur, de nombreuses personnes étaient sensibles à son charme. Mais ce n’est pas tout. À ces traits de sa personnalité venait s’ajouter la réputation qu’il s’était faite d’homme de pouvoir, de numéro un de l’Église orthodoxe russe, bénéficiant du soutien inconditionnel du gouvernement soviétique. Ce pouvoir relevait souvent plus de la légende que de la réalité, mais cela impressionnait. Les gens aiment s’incliner devant les forts ou ceux qu’ils croient forts, surtout en Orient, dans le monde orthodoxe grec ou arabe. Enfin, il faut avouer que certaines personnes étaient favorablement disposées à son égard par ses généreux cadeaux. Où qu’il aille, il en avait toujours sur lui, qu’il distribuait à droite et à gauche ; il disposait d’importants moyens financiers, de vodka, de cognac, de « canapés de caviar » et de souvenirs de prix. Aucun autre évêque d’URSS ne disposait de tels moyens lors de ses déplacements à l’étranger. C’était là bien sûr un procédé assez primitif, mais qui donnait de bons résultats. Cela en imposait plus que cela n’achetait les faveurs des gens. En Russie, par contre, comme nous avons déjà eu l’occasion de le constater d’après les opinions à son sujet, sa popularité était bien moindre.
À la fin de la conférence de Rhodes, nous prîmes le même avion d’Athènes à Bruxelles. Pendant le voyage, il se montra loquace et se mit à me parler du patriarche Alexis ou, plutôt, à se plaindre de lui. « Nous regrettons tous beaucoup la mort prématurée du patriarche Serge. S’il avait vécu plus longtemps, il aurait beaucoup obtenu pour l’Église. Le patriarche Alexis, lui, est un homme timoré, indolent. C’est un aristocrate, un barine (75). Il considère l’Église comme un fief où il peut se comporter en seigneur, à sa convenance. Il regarde les évêques de haut, il les évite, il les traite comme des ignares. C’est curieux. Il les a élus, il les a intronisés lui-même et il les tient ensuite à l’écart. Il place ses relations aristocratiques au-dessus des rapports dans l’Église. Vous vous souvenez qu’à Londres, après un office, il a ôté sa croix de patriarche du cou et l’a donnée à l’archiprêtre Vladimir Rodzianko, bavardant longuement avec lui ? Pourtant, il avait concélébré dans le sanctuaire avec des prêtres de longue date, méritants, mais il ne leur a rien donné et ne leur a même pas adressé la parole. Or, l’archiprêtre Rodzianko n’est même pas membre de notre Église (76) ! Et tout ça pour l’unique raison que le domaine du grand-père du père Vladimir était voisin de celui du père du patriarche (77) à Nijni-Novgorod. J’étais profondément indigné ! », s’exclama le métropolite Nicodème pour conclure son récit.
Parmi les opinions que j’ai entendues sur le métropolite Nicodème, celle du père Libère Voronov (78) figure parmi les plus justes et les plus intéressantes. Le père Libère était professeur de dogmatique à l’académie de théologie de Leningrad, c’était un homme d’une intelligence incontestable et d’une grande culture théologique, qui avait passé plus de dix ans dans les camps. Il connaissait bien le métropolite Nicodème. Vers la fin du mois d’août 1966, nous voyageâmes ensemble en avion de Moscou à Belgrade pour participer au travail de la Commission panorthodoxe de préparation du dialogue avec les Anglicans (79). Comme cela arrive presque toujours en pareille circonstance, nous nous mîmes à bavarder, ce qui était assez difficile dans les conditions de vie soviétiques. Le père Libère fit du métropolite Nicodème une description largement positive, il reconnaissait ses capacités et lui savait gré de son attitude attentive vis-à-vis de l’académie de théologie, du soutien qu’il accordait toujours à ses professeurs, mais termina soudain ainsi. « Mais je vous dirais tout de même que c’est un homme impénétrable. Il est vraiment impossible à cerner ! » J’acquiesçai. À Belgrade, et dans les autres lieux de la Yougoslavie que nous visitâmes, nous fûmes, avec le père Libère, impressionnés par la situation de l’Église, bien meilleure qu’en Russie. Une procession à Belgrade dans laquelle les enfants étaient massivement presents (80), le discours hardi au peuple de l’évêque Basile au monastère de Žiča, l’ouverture de séminaires çà et là, etc. Le père Libère en particulier en était stupéfait. « Chez nous, une chose pareille serait inconcevable ! Comme la situation est différente ici ! »
Quelques temps après je me rendis en Angleterre et participai à une émission pour la BBC-Russie, lors de laquelle je racontai mes impressions de Yougoslavie. À la question. « Vous avez été en URSS de nombreuses fois et maintenant vous rentrez de Yougoslavie. Pourriez-vous faire une comparaison des situations respectives de l’Église orthodoxe dans ces pays ? », je répondis par la phrase du père Libère, sans le nommer bien entendu (je partageais d’ailleurs son opinion). « Il y a une grande différence (en faveur de la Yougoslavie). C’est sans comparaison avec l’URSS. Ce que j’ai vu en Yougoslavie en termes de liberté de l’Église est tout simplement inconcevable dans la Russie d’aujourd’hui. » Mon interview fut diffusée en Russie et le métropolite Nicodème en eut vent.
Quand, par après, nous nous rencontrâmes à Paris, il me fit des reproches, disant que je m’étais permis de faire des comparaisons et des évaluations sans bien connaître la situation de l’Église en Russie. (Mon intervention à la BBC l’irritait d’autant plus que je m’étais rendu à Belgrade en tant que chef de la délégation du Patriarcat de Moscou.) En réponse aux reproches du métropolite Nicodème, je fus contraint de lui dire. « Ce n’est pas seulement mon opinion, un autre membre de notre délégation, venu de Russie et qui en connaît bien la situation, était du même avis. » — « De qui s’agit-il exactement ? », demanda le métropolite Nicodème. Mais bien entendu, je refusai de lui donner ce renseignement, et il ne lui était pas facile de deviner de qui il s’agissait, car notre délégation était assez nombreuse. Alors le métropolite Nicodème, voyant mon entêtement et mon refus de citer des noms, changea de tactique. « Ceux qui se permettent de telles comparaisons perdent de vue une différence fondamentale entre la Yougoslavie et la Russie. En Yougoslavie, l’orthodoxie fait partie de la vie quotidienne, c’est avant tout une tradition nationale qui ne constitue pas de menace pour le pouvoir. Aussi ce dernier la tolère-t-il. Mais chez nous, l’orthodoxie, c’est une foi, une idéologie, une conception du monde, une confession qui nie les fondements même du régime. Le pouvoir sent qu’il y a là un danger pour lui, d’où son attitude plus dure envers l’Église. » Je dois admettre que la réponse du métropolite était fine et juste à sa manière, mais on y sentait une justification des répressions antireligieuses. En 1968, je rencontrai de nouveau le père Libère à Bruxelles. Il me dit d’un ton de reproche. « Pourquoi m’avez-vous trahi en racontant au métropolite Nicodème ce que je vous avais dit à Belgrade ? Je n’ai peur de rien, mais je n’ai aucun plaisir à recevoir des blâmes à cause de vous. » — « Je ne vous ai pas nommé, il ne pouvait que deviner ! » — « Oui, j’ai bien compris qu’il ne savait pas exactement de qui il s’agissait », me répondit le père Libère. Pourquoi le métropolite Nicodème avait-il mené son enquête et en avait « tiré des conclusions » ? Je ne trouve pas cela très joli. Il est vrai que tout cela n’eut aucune conséquence grave pour le père Libère, mais ce fut une leçon pour moi. Je savais désormais qu’il ne fallait pas faire entièrement confiance au métropolite Nicodème, ni se montrer trop franc avec lui.
Lui-même d’ailleurs ne se comportait jamais avec une franchise absolue avec moi. Il est vrai que lors de nos rencontres en Occident, nous parlions d’affaires aussi bien religieuses que personnelles, beaucoup plus ouvertement qu’en URSS où quelque chose nous retenait tous les deux (que ce soit la peur des microphones ou l’atmosphère pesante du système soviétique). Mais avec les années, le métropolite Nicodème avait tendance à s’ouvrir. Je me souviens, par exemple, d’une conversation remarquable que nous eûmes à Paris dans les années 1965-1967. Nous nous trouvions seuls après un dîner dans les locaux de l’exarchat. Il était près de dix heures du soir. Je ne me souviens pas du point de départ de notre conversation, mais il semble qu’il avait commencé comme à l’accoutumée par débiter ses éternelles semi-vérités sur la situation de l’Église en Russie. « On reproche souvent aux évêques de ne pas protester contre les fermetures des églises, me disait-il. Mais leur pouvoir en la matière est très limité, cela dépend bien plus des croyants, de l’activité qu’ils déploient. Or souvent, ils n’en déploient pas. Tenez, par exemple. pendant que j’étais archevêque du diocèse de Iaroslavl, on commença à y fermer les églises et les fidèles vinrent me réclamer de l’aide. Je leur dis. « Écrivez une lettre, expliquant que vous désirez conserver votre église ouverte et collectez le plus grand nombre possible de signatures. Quand vous aurez fait cela, je pourrai bien mieux vous aider. » Et que pensez-vous qu’ils firent ? Les voilà qui hésitent, qui font des manières, qui se défilent. En fin de compte, il n’y eut pas une seule signature, personne n’avait assez de courage. »
Je me mis à opposer au métropolite des exemples concrets de persécutions antireligieuses à l’intérieur du pays et des raisons pour lesquelles les fidèles avaient peur de se défendre ouvertement. « Moi aussi, je pourrais donner une interview sur la situation de l’Église chez nous, qui ferait sensation dans le monde entier », dit-il. « Mais je ne le ferai pas, car cela ne ferait aucun bien à l’Église, que du contraire. Bien plus, je sais que je peux laisser dans l’histoire mon nom entaché et cela ne m’est pas indifférent, loin de là. Mais je suis prêt à en prendre le risque pour le bien de l’Église. Il n’y a pas d’autre voie. » Nous continuâmes cette conversation jusqu’à trois heures du matin, jusqu’à ce que je dise que j’étais fatigué et que j’aille me coucher. Je me sentais plein de compassion envers lui, me disant qu’il devait souvent avoir eu la tentation de tout laisser en plan et de faire une sortie spectaculaire, car il comprenait et voyait tout ce qui se passait autour de lui. Cela dit, il ne s’agit que de suppositions de ma part. même cette nuit-là, il ne se départit jamais de son air impénétrable. Par la suite, il alla plus loin, semble-t-il. Je me souviens qu’il était à ce moment-là attaqué par la presse occidentale pour ses prises de position prosoviétiques, pour ses mensonges sur la situation de l’Église en Russie, etc. On le considérait comme un traître, on se méfiait de lui. Je le lui dis. « Et vous, avez-vous confiance en moi ? », me demanda-t-il avec dans les yeux une expression triste, émouvante même. « Oui, Monseigneur, personnellement, j’ai confiance en vous », répondis-je. Il eût été cruel de répondre autrement.
Un jour à Genève, vers l’année 1969, me semble-t-il, je rencontrai le secrétaire général du COE Visser ‘t Hooft (81). À ce propos, je me souviens d’un épisode intéressant pour caractériser le métropolite Nicodème et l’habitude soviétique qu’il avait acquise de proférer des mensonges sans nécessité aucune, sans même le remarquer et sans se souvenir des circonstances ou de l’environnement où ils étaient proférés (les déclarations publiques, elles, pouvaient trouver une justification et l’on pouvait humainement les comprendre et les pardonner). Visser ‘t Hooft me raconta que, lorsqu’il se trouvait en voyage à Odessa en 1964 à une réunion du Comité, il se rendit à Potchaïev (82) avec un groupe d’autres membres de la délégation et les moines du monastère lui transmirent leurs plaintes au sujet des persécutions dont ils étaient victimes de la part des autorités. Peu de temps après, alors que j’étais à Moscou, nous en vînmes avec le métropolite Nicodème à parler de Potchaïev. Le métropolite se mit à contester vivement l’authenticité des appels et déclarations de Potchaïev, disant qu’ils n’émanaient pas des moines. Alors je lui dis. « Visser ‘t Hooft m’a raconté que les moines les lui avaient remis en mains propres et que c’est lui qui les avait sortis d’Union soviétique. Pourquoi aurait-il du mentir ? » — « C’est impossible, me répondit le métropolite Nicodème, Visser ‘t Hooft n’a jamais mis les pieds à Potchaïev. Il est vrai que les participants de la consultation d’Odessa ont demandé de visiter Potchaïev, mais nous avons été contraints de la leur refuser, en raison de leur trop grand nombre. Aucun d’entre eux n’a visité Potchaïev. » Bien plus tard, en 1972, je rencontrai à nouveau Visser ‘t Hooft à Genève. Au dîner, je me trouvai assis à côté de lui et décidai de lui demander. « Avez-vous visité Potchaïev en 1964 après la réunion du Comité à Odessa ? » — « Bien sûr ! », répondit-il. — « Mais le métropolite Nicodème affirme que personne n’a été autorisé à y aller et que vous n’y avez jamais été. » Visser ‘t Hooft sourit et me dit. « Le métropolite Nicodème ne peut ignorer que si, malgré le souhait exprimé par tous les participants de se rendre à Potchaïev, tous n’ont pas été autorisés s’y rendre, cinq d’entre-nous y sont allés, dont moi. Le métropolite Nicodème en personne nous y a accompagnés. Je me souviens parfaitement qu’alors qu’il nous montrait le monastère et la vue sur le paysage environnant, il nous a cité un poème russe. « Ici est l’esprit russe, ici cela sent la Russie (83). » Et c’est là que les moines me remirent leurs textes, à l’insu, bien entendu, du métropolite Nicodème. Mais il ne peut avoir oublié notre visite à Potchaïev. » Il m’est difficile d’ajouter un commentaire à ce récit qui s’en passe d’ailleurs aisément. Il va sans dire que je ne doute pas un instant de la véracité des dires de Visser ‘t Hooft, d’autant qu’il aurait été difficile à un étranger d’inventer les détails d’une visite à Potchaïev.
J’ai décrit ailleurs en detail (84) le concile local de l’Église orthodoxe russe de 1971 qui élit le patriarche Pimène et le rôle qu’y joua le métropolite Nicodème. Durant la période « postconciliaire », c’est-à-dire de l’été 1971 jusqu’à la mort du métropolite Nicodème, à Rome, le 5 septembre 1978, je le rencontrai encore de nombreuses fois. Il est vrai qu’à la suite de son premier infarctus du printemps 1973, il s’était mis à voyager beaucoup moins que par le passé et s’était même vu contraint de réduire le champ de ses activités. Il démissionna de ses fonctions de président du Département des relations ecclésiastiques extérieures (85) au profit du métropolite Juvénal (86), mais sa nomination au poste d’exarque patriarcal d’Europe occidentale (87) renforça encore ses liens avec nous. C’est lui-même qui m’apprit la nouvelle de son départ du Département des relations extérieures alors qu’il était en visite à Bruxelles en juin 1973, à l’occasion d’une « conférence sociale sur la sécurité en Europe », ce qui était curieux ; il n’était pas là pour l’Église, mais comme membre de la délégation soviétique. Je ne posais aucune question au métropolite Nicodème au sujet des discussions ; de toute façon, on n’y changerait rien, on pouvait seulement être affligé. Le métropolite n’encourageait d’ailleurs pas ma curiosité. La première chose qu’il me dit lorsqu’il me vit à l’aéroport fut qu’il ne dirigeait plus le Département des relations extérieures. « Mais, se mit-il à m’expliquer avec une certaine naïveté, il ne fallait pas en conclure qu’on l’avait « rétrogradé », loin de là, on n’avait fait que répartir les tâches d’une façon différente et il continuait à tout diriger. « À qui doit-on adresser son courrier pour les affaires courantes ? », lui demandai-je. — « Au métropolite Juvénal, mais en cas d’affaire importante, à moi », répondit-il.
Comme chacun sait, c’est en février 1974 que Soljenitsyne fut expulsé de Russie soviétique. Cette décision me paraissait révoltante, mais il ne me serait jamais venu à l’idée de protester contre elle (défendre un écrivain ne fait pas partie des attributions d’un évêque), s’il n’y avait eu une circonstance particulière. Soljenitsyne avait bien d’autres défenseurs que moi, sans parler du fait que les protestations contre le pouvoir soviétique restaient toujours sans effet. Mais je fus indigné au plus profond de mon cœur de voir le métropolite Séraphim de Kroutitsy et Kolomna (88) se mêler de l’affaire et approuver, « en tant que métropolite de l’Église orthodoxe russe », l’expulsion de Soljenitsyne (89). C’est pourquoi, dans un télégramme du 17 février au patriarche Pimène, j’exprimai « en tant qu’archevêque de l’Église orthodoxe russe » la « profonde consternation » que me causait le geste du métropolite Séraphim. Je reçus quasiment au même moment une invitation du patriarcat à me rendre à Moscou. Ici, je dois donner quelques explications. lors de ma visite précédente, en octobre 1973, j’avais un visa touristique de cinq jours dont je demandai, comme d’habitude, la prolongation. « Ce sera fait, me répondit le métropolite Nicodème. Nous réglons des problèmes mondiaux, ce serait incroyable qu’on ne règle pas celui-là ! Vous l’aurez, votre prolongation. » Mais quelques jours plus tard, il vint me dire, l’air embarrassé. « On vous refuse la prolongation de votre visa. Nous avons eu le plus grand mal à vous obtenir deux jours supplémentaires sans quoi vous auriez été obligé de repartir la veille de la saint Serge. (90) Mais en compensation, vous serez invité l’année prochaine et là, personne ne pourra écourter votre séjour. Rappelez-nous en fin d’année de vous faire l’invitation. » C’est ce que je fis et je reçus fin février 1974 l’invitation précitée, datée du 20 février ; je partis à Moscou au printemps, après Pâques. Une question se posa à moi. le Département des relations extérieures était-il au courant à ce moment-là de mon télégramme au patriarche à propos de Soljenitsyne ? Les dates coïncident presque, mais à y réfléchir, il me semble qu’ils n’en savaient encore rien. Quoi qu’il en soit, je décidai d’y aller, malgré le fait que de nombreuses personnes à Bruxelles tentaient de m’en dissuader, car elles avaient peur pour moi. Au consulat soviétique, on ne fit aucune difficulté pour me délivrer le visa correspondant à l’invitation du patriarcat, on ne me posa pas la moindre question alors même que les journaux belges et français parlaient de mon télégramme.
J’arrivai à Moscou le 14 mai 1974. Je fus reçu par le métropolite Juvénal et le patriarche, je leur fournis mes explications concernant mon télégramme à propos de Soljenitsyne, et dans l’ensemble tout se passa très bien. Mais c’est avec le métropolite Nicodème, chez qui je me rendis, à son invitation, pour la fête de saint Nicolas (le 9/22 mai), que j’eus l’explication la plus longue. Nous n’en parlâmes pas immédiatement et c’est moi qui amenai la conversation sur le sujet. Mais quand nous y vînmes, nous nous mîmes rapidement à crier l’un sur l’autre. En gros, il cherchait à démontrer qu’il n’aurait pas fallu que je me mêle de l’affaire Soljenitsyne, à quoi je répondais que le métropolite Séraphim l’avait fait le premier. « D’ailleurs, continuai-je, mon intervention n’était pas politique. » — « Non, rétorqua le métropolite Nicodème. Votre intervention était très nettement une prise de position antisoviétique. » — « Est-ce donc si répréhensible ? », lui demandai-je. — « Je ne dis pas que c’est mal, répondit Mgr Nicodème, je dis seulement que vous n’auriez pas dû le faire. »
Le lendemain, c’était la saint Nicolas, fête patronale de la cathédrale Saint-Nicolas-des-Marins (91), où nous concélébrâmes tous avec les membres d’une délégation du patriarcat de Jérusalem. Nous fûmes conviés à un repas solennel après la liturgie. Le métropolite Nicodème commença par souhaiter la bienvenue à la délégation de Jérusalem, puis s’adressant à moi, il insista sur le fait que nous nous connaissions de longue date, que nous avions collaboré lors des conférences panorthodoxes, etc. Il voulait manifestement indiquer par là que, malgré les quelques points de désaccord que nous pouvions avoir, nous étions fondamentalement unis. Cela fut remarqué par l’assistance.
Il m’arriva encore plusieurs fois de m’expliquer (« affronter » serait un terme trop brutal) avec le métropolite Nicodème à propos de déclarations que j’avais faites sur la BBC, d’articles ou de commentaires que j’avais publiés dans la Pensée russe (92) ou dans le Messager de l’ACER de Nikita Struve (93), ainsi qu’à la sortie de mon livre L’année 1919 (94) où je raconte l’année que j’ai passée dans l’Armée blanche. Je m’empresse de dire ici que toutes ces « explications » avec Mgr Nicodème se terminèrent très bien pour moi, sans aucune conséquence fâcheuse, ce que j’attribue principalement à l’intelligence du métropolite et à sa bienveillance à mon égard.
À ce propos, je me rappelle la plus intéressante des conversations que j’eus avec le métropolite Nicodème, à Paris au début de 1976. « M’est-il jamais arrivé de vous condamner ou de vous critiquer pour vos déclarations ou vos articles ? me demanda-t-il. Jamais ! Prenez par exemple votre article (95) sur l’archevêque Pitirim (96). à l’exception de ce que vous y écrivez à propos du gouvernement soviétique — à ce propos je m’abstiens de commentaires —, je suis entièrement d’accord avec vous. l’Église doit en permanence chercher à toucher les couches de populations les plus larges et ne doit pas renoncer d’elle-même à exercer une influence sur la jeunesse. En ce qui concerne votre notice nécrologique (97) du métropolite Joseph d’Alma-Ata (98), je dois vous dire qu’il était mon candidat favori pour le trône de patriarche, même si cela n’a pas été possible. »
Puis nous passâmes à mon livre L’année 1919. « Vous écrivez bien, me dit le métropolite Nicodème, et je comprends parfaitement quels ont pu être vos sentiments à l’époque. Ce que je ne comprends pas, c’est le besoin que vous avez eu de prendre l’Armée blanche comme thème de vos mémoires. Pourquoi n’avez vous pas plutôt raconté de quelle façon vous êtes devenu moine sur le mont Athos ? Pourquoi n’avoir pas raconté votre enfance ? » — « Je ne suis pas Léon Tolstoï pour écrire Enfance, Adolescence, Jeunesse », répondis-je. « Je n’ai pas ce talent. Quant à l’Athos, si Dieu veut, j’aurai l’occasion d’écrire à ce sujet (99). Mon séjour dans l’Armée blanche a laissé en moi un souvenir impérissable et ce dont j’ai été témoin revêt un intérêt historique certain. » — « Non, vous écrivez bien, poursuivit Mgr Nicodème, mais vous auriez dû donner pour titre à votre livre quelque chose comme « Extraits de mes mémoires ». Sinon on peut penser qu’il s’agit là du thème central de vos intérêts. N’oubliez pas que vous occupez des fonctions à responsabilités. Pourquoi n’écrivez-vous pas plutôt sur les saints pères ? » — « J’ai déjà écrit sur les pères de l’Église et j’écrirai encore. L’année 1919 ne doit être considérée que comme une courte pause. J’avais besoin de raconter ce que j’avais sur le cœur. J’ai aussi un article intitulé « Les journées de février 1917 à Petrograd (100) ». À l’époque, j’avais même des sympathies révolutionnaires. » — « Eh bien, elles vous ont mené loin, vos sympathies ! », ironisa le métropolite Nicodème.
Cette conversation eut lieu peu de temps après l’assemblée générale du COE à Nairobi (101) au cours de laquelle des délégués protestants émirent pour la première fois une protestation contre les persécutions antireligieuses en Union soviétique. J’avais l’intention d’écrire une lettre au pasteur Potter (102), secrétaire général du COE, pour lui exprimer mon soutien et l’encourager à poursuivre son action, mais je voulais avant tout connaître la position du métropolite Nicodème à l’égard de ce type d’interventions. C’est pourquoi, sans dire un mot de mes intentions et gardant ma lettre à Potter dans ma poche, je dis au métropolite Nicodème. « Je pense que les protestations contre les persécutions antireligieuses en Russie telles qu’elles ont été exprimées à Nairobi, ainsi que les discussions en général sur la situation de l’Église peuvent être bénéfiques. » — « C’est vrai, répondit le métropolite Nicodème, mais elles ne doivent pas être faites en votre nom ni par voie de presse. Croyez-moi, Monseigneur, il y aura suffisamment d’organisations, autrement importantes et influentes que vous, pour s’en occuper. Vous ne devriez pas vous en soucier. » — « Vous pensez au COE ? » — « Oui, entre autres. » — « Mais il faut les encourager à le faire. » — « En tout cas, pas en votre nom ni par voie de presse. » Pour moi c’était très clair. Je compris les paroles du métropolite Nicodème comme un feu vert et envoyai ma lettre à Potter (103) .
Nous ne nous heurtâmes à aucune difficulté particulière de la part du métropolite Nicodème lors de la publication de notre Messager de l’exarchat d’Europe occidentale. Il ne nous soumettait à aucune censure préliminaire ni n’imposait d’approbation préalable du contenu. Il lui aurait d’ailleurs formellement été assez difficile d’intervenir de la sorte, dans la mesure où il n’était pas notre exarque et que c’était notre exarque, le métropolite Antoine de Souroge, le responsable de la publication. Il y eut cependant des désaccords avec le métropolite Nicodème à propos du Messager ; le métropolite souhaitait que son contenu soit exclusivement théologique, alors que je voulais, moi, laisser de la place à l’actualité ecclésiale et en particulier à la situation de l’Église dans la Russie contemporaine, dans un esprit bien entendu non soviétique. Ainsi, je me souviens qu’en 1963, nous publiâmes une lettre clandestinement sortie de Russie, la « Lettre ouverte au prêtre Darmanski (104) » du prêtre Jeloudkov (105) (nous la laissâmes anonyme, car nous n’en connaissions pas l’auteur). Dans le courant de l’année qui suivit, je rencontrai aux Pays-Bas le métropolite Nicodème qui me reprocha la publication de cette lettre. « Vous ne connaissez pas Jeloudkov et vous regretterez un jour de l’avoir publié. » Je répondis que la lettre était une dénonciation très forte de l’athéisme et qu’elle dépeignait de manière très vivante la lutte antireligieuse des athées contre la foi. « Vous, vous publiez et c’est moi qui prends », me répondit le métropolite Nicodème, accompagnant ses paroles d’un geste évocateur. Je n’avais pas grand-chose à répondre à un tel argument. Quant le métropolite Nicodème fut nommé exarque d’Europe occidentale, la parution du Messager devint problématique, car il exigeait que chaque numéro lui soit préalablement envoyé pour vérification. « C’est mon droit en tant qu’exarque. Le métropolite Antoine ne le faisait pas, parce qu’il ne s’intéressait pas au Messager. Moi, je m’y intéresse. » Je quittai alors la rédaction du Messager et la parution en fut suspendue. Lors de l’une de mes visites à Paris, le métropolite Nicodème me demanda une explication à ce sujet. Je lui dis qu’envoyer à chaque fois le Messager pour vérification préalable était techniquement impossible. J’étais prêt à reprendre la rédaction du Messager à une seule condition. pas un gramme de « soviétisme » ! "D’accord, me répondit-il, il n’y en aura pas. Mais je vais moi aussi vous poser une condition. pas un gramme d’"antisoviétisme" !" Une autre fois, après la publication de ma critique du livre de Roessler sur l’Église russe (106), il me dit. « Mais enfin, pourquoi publiez-vous de tels articles dans le Messager ? Et sous votre nom en plus ? Ce n’est que votre avis personnel ! Vous feriez mieux de les publier ailleurs. » Je me rangeai à son avis et me mis à publier certaines choses chez Nikita Struve, mais signées de mon nom. Et quand on me demandait pourquoi je le faisais, je répondis que puisqu’on me l’avait interdit dans notre Messager, je publiais dans le Messager de l’ACER.
Le 21 février 1974, notre exarque, le métropolite Antoine de Souroge, démissionna de ses fonctions pour raisons de santé. Étant donné que sa lettre de démission avait été écrite à peine trois jours après qu’il ait célébré dans sa cathédrale de Londres un « Te Deum de protestation » pour les dissidents en liaison avec l’expulsion de Soljenitsyne, l’opinion publique interpréta cette démission du métropolite comme un limogeage par le patriarcat de Moscou à la suite de cette « protestation ». Il n’en était pas ainsi en réalité. Contrairement à ce qui s’était passé en 1964 où Mgr Antoine avait été contraint de présenter sa démission, sa nouvelle demande avait pris le patriarcat au dépourvu et le jetait même dans l’embarras, car elle créait l’impression que le métropolite Antoine était victime de persécutions de sa part. Le métropolite Nicodème l’appréciait beaucoup en tant qu’exarque et en tant qu’homme jouissant d’une grande popularité en Occident. C’est pourquoi, il fallut attendre le 5 avril pour que le synode accède à la demande du métropolite Antoine. Quant à la nomination du nouvel exarque, elle traîna jusqu’au 3 septembre…
- Mgr Nicodème (Rotov, 1929-1978), prélat orthodoxe russe et personnalité du mouvement œcuménique. Membre, puis supérieur de la Mission orthodoxe russe à Jérusalem (1956-1958), vice-président du Département des relations extérieures du patriarcat de Moscou (1959-1960), président de ce département (1960-1972), exarque patriarcal d’Europe occidentale (1974-1978). Évêque (1960), archevêque (1961), métropolite (1963), métropolite de Leningrad et Novgorod (1967). Artisan du dialogue œcuménique, il fut membre du Comité exécutif du C. O. E. (1961-1975) et président de celui-ci (1975). Il mourut à Rome, lors d’une audience privée chez le pape Jean-Paul Ier. Voir « Une vie pour l’unité, le métropolite Nicodème », Messager de l’Église orthodoxe russe, n°11 (2008), p. 7-26.
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », p. 175.
- Le 31 mai 1960. Sur le petit diocèse du patriarcat de Moscou en Belgique, voir Père Serge MODEL, « L’Église orthodoxe russe en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg », Messager de l’Église orthodoxe russe, n°7, Paris (2008), p. 20-23.
- De 1958 à 1960.
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 41.
- De 1951 à 1958.
- Philarète (Denissenko, né en 1935), ex-prélat orthodoxe russe. Évêque (1962), archevêque (1966) puis métropolite (1968) de Kiev et de Galicie. Fondateur (1991) d’une « Église autocéphale ukrainienne-patriarcat de Kiev » et patriarche autoproclamé de celle-ci, défroqué pour activité schismatique et excommunié.
- Mgr Bartholomée (Gondarovsky, 1927-1988), prélat orthodoxe russe. Archevêque de Tachkent et d’Asie centrale (1972-1987).
- En 1958.
- Du 14 au 29 juin 1960. Sur ce voyage, voir ARCHIMANDRITE PHILARETE (DENISSENKO), « V gostyah ou anglikanskih monakhov » [En visite chez les moines anglicans], Journal du Patriarcat de Moscou, n°8 (1960), p. 69-79.
- Propriété de l’association Fellowship of Saint Alban and Saint Sergius, qui avait pour but de favoriser les contacts entre anglicans et orthodoxes. C’est dans les locaux de la maison qu’était située l’église orthodoxe russe d’Oxford.
- Nicolas Mikhaïlovitch Zernov (1898-1980), historien, théologien et philosophe émigré russe, secrétaire de la Fellowship of Saint Alban and Saint Sergius.
- Sont ici visés notamment les canons dits « apostoliques » n° 45 et n° 65, et le canon du concile de Laodicée (364) n° 33.
- 1 Th. 5, 17.
- Et pas le dimanche 19 juin, comme indiqué dans le manuscrit original (NdT).
- Mgr Harry James Carpenter (1901-1993), prélat et théologien anglican. Évêque d’Oxford (1955-1970).
*Passage illisible dans le manuscrit original (NdT).
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 7.
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 49.
- Voir n. 3.
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) ».
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », p. 175-194.
- Il s’agit de Mgr Nicolas (Eremine). Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 10.
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 53.
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », p. 192.
- Mgr Alexis (van der Mensbrugghe, 1899-1980), prélat et théologien orthodoxe d’origine belge. Sacré le 1er novembre 1960 évêque titulaire de Meudon, auxiliaire de l’exarchat en Europe occidentale. Évêque aux États-Unis (1968), archevêque à Düsseldorf (1971).
- ARCHEVEQUE BASILE (KRIVOCHEINE), « La Conférence panorthodoxe sur l’île de Rhodes », Messager de l’Exarchat du patriarche russe en Europe occidentale, n° 40 (1961), p. 179-189.
- Mgr Nicodème fut nommé évêque d’Iaroslavl et Rostov le 23 novembre 1960 et élevé au rang d’archevêque le 16 mars 1961.
- Mgr Alexis (Ridiger, 1929-2008), prélat orthodoxe russe, patriarche de l’Église orthodoxe de Russie. Évêque de Tallin en Estonie (1961), archevêque et chancelier du patriarcat (1964), métropolite de Leningrad (1986), patriarche de Moscou et de toutes les Russies (1990-2008). Voir « Patriarche Alexis de Moscou et de toute la Russie », Messager de l’Église orthodoxe russe, n°12 (2008), p. 5-22.
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 75.
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 40.
- Mgr Nicolas (Eremine). Voir n. 23.
- À noter que le professeur Nikita Struve met en doute les fonctions d’interprète de V. Alexéïev. Voir N. STRUVE, op. cit., p. 96.
- Mgr Meliton (Hatzis, 1913-1989), prélat orthodoxe grec, proche collaborateur du patriarche Athénagoras de Constantinople. Métropolite d’Imbros et Ténédos, métropolite de Chalcédoine (1950).
- Mgr Chrysostome (Constantinidis, 1921-2006), prélat orthodoxe grec. Professeur à l’institut de théologie de Halki, métropolite de Myre (1961), métropolite d’Ephèse (1991).
- Le même individu est d’ailleurs cité, avec les mêmes « qualités », dans N. STRUVE, op. cit., p. 97.
- École de théologie du patriarcat de Constantinople, située sur l’île d’Heybeliada (près d’Istanbul). Fermée par les autorités turques en 1971.
- Mgr Élie (Muawad, ?-1979), prélat orthodoxe syrien. Patriarche de l’Église orthodoxe d’Antioche (1970-1979).
- Père Serge Heitz (1908-1998), prêtre orthodoxe d’origine allemande.
- Le père Heitz était un ancien prêtre catholique qui s’était marié.
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 7.
- Mgr Pierre (L’Huillier, 1926-2005), prélat orthodoxe d’origine française, théologien et canoniste. Évêque de l’Église orthodoxe russe à Paris (titulaire de Chersonèse) (1968), puis évêque de l’Église orthodoxe d’Amérique (1979). Archevêque (1990).
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 20.
- Mgr Eugène Tisserant (1884-1972), prélat catholique français. Préfet de la Congrégation des Églises orientales, cardinal (1936), doyen du sacré collège (1951), membre de l’Académie française (1961), participant au concile Vatican II.
- Père Théodore (Strotmann, 1911-1987), moine de Chevetogne. Sur cet épisode, voir aussi A. LAMBRECHTS, « Les contacts entre l’Église orthodoxe russe et le Monastère d’Amay-Chevetogne, 1925-2003 », dans Irénikon, revue des moines de Chevetogne, n° 76 (2003), p. 210-211.
- Il s’agira des pères Vital Borovoï et Vladimir (Kotliarov), aujourd’hui métropolite de Saint-Pétersbourg.
- Le 4 août 1963.
- Voir ARCHEVEQUE BASILE (KRIVOCHEINE), « La IIe Conférence panorthodoxe à l’île de Rhodes, 26-29 septembre 1963 », Messager de l’exarchat du patriarche russe en Europe occidentale, n°45 (1964), p. 5-25.
- Mgr Justin (Moisescu, 1910-1986), prélat orthodoxe roumain. Métropolite de Moldavie (1957), patriarche de l’Église orthodoxe roumaine (1977-1986).
- Mgr Maxime (Minkov, né en 1914), prélat orthodoxe bulgare. Métropolite de Lovetch (1960), patriarche de l’Église orthodoxe bulgare (depuis 1971).
- Mgr Serge (Larine, 1908-1967), prélat orthodoxe russe. Archevêque de Berlin (1962-64), puis d’Iaroslavl et Rostov (1964-1967).
- L’Église « vivante » ou « rénovée ». schisme créé par les autorités soviétiques au sein de l’Église orthodoxe russe dans les années 1920. Voir N. STRUVE, op. cit., p. 32-37 et Mgr KALLISTOS (WARE), L’Orthodoxie. L’Église des sept conciles, op. cit., p. 194.
- N. Khrouchtchev sera démis de toutes ses fonctions et envoyé à la retraite en octobre 1964.
- Le 9 octobre 1963.
- Le 7 octobre 1967.
- Père Corneille (Fristedt, 1902-1982), moine et prêtre orthodoxe russo-finlandais. Recteur de l’église orthodoxe russe Saint-Nicolas de Bruxelles.
- En septembre 1962, deux suppliques adressées par des chrétiens de la région de Potchaïev (Ukraine) au Conseil œcuménique des Églises et aux dirigeants de l’URSS révélèrent le détail des persécutions. La première a été publiée intégralement dans la revue française Esprit (mars 1963, p. 431-433). Voir N. STRUVE, op. cit., p. 265-269.
- Le 19 janvier 1964.
- Mgr Basile (de son nom civil Vladimir) (Rozdianko, 1915-1999), prélat orthodoxe d’origine russe (petit-fils du dernier président de la Douma d’Empire, Michel Rodzianko). Émigré, prêtre au sein de l’Église orthodoxe serbe (à Belgrade, ensuite à Londres), puis évêque de l’Église orthodoxe d’Amérique (1980-1984).
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 24.
- Famille du patriarche Alexis Ier (Simansky).
- À l’époque, plus haute distinction honorifique du patriarcat de Moscou.
- Mgr Michael Ramsay (1904-1988), prélat anglican et personnalité du mouvement œcuménique. Archevêque de Canterbury, primat de la communion anglicane (1961-1974).
- Mgr Frederick Donald Coggan (1909-2000), prélat anglican. Archevêque de Canterbury, primat de la communion anglicane (1974-1980).
- L’ordination, par l’Église anglicane, de femmes-prêtres — considérée par les orthodoxes comme contraire à la tradition bimillénaire de l’Église — a amené une crise dans le dialogue théologique orthodoxe-anglican en 1977-1978. Ce dialogue, qui a repris depuis sur un mode mineur, est en outre rendu difficile par les prises de position ultralibérales de certains Anglicans en matière de foi et de morale.
- SYMEON LE NOUVEAU THEOLOGIEN, Catéchèses (3 tomes), introd., texte critique et notes par Mgr BASILE (KRIVOCHEINE), trad. par J. PARAMELLE, s. j., coll. « Sources chrétiennes », n° 96, 104 et 113, Paris, Éd. du Cerf, 1963-1965.
- Voir Père Serge MODEL, « Une page méconnue de l’histoire de l’orthodoxie en Occident. la Mission orthodoxe belge (1963-1987) », Irénikon, revue des moines de Chevetogne, n°81(2008), p. 24-49.
- Les 7 et 8 octobre 1964.
- Le 9 octobre 1964.
- Le 14 octobre 1964.
- Mgr Hermogène (Goloubiov, 1896-1978), prélat orthodoxe russe et confesseur de la foi. Supérieur de la laure des Grottes à Kiev, prisonnier au goulag (1931 à 1939). Évêque (1953), archevêque (1956), archevêque de Kalouga et Borovsk (1963), limogé en 1964 pour s’être opposé à la soumission de l’Église aux pressions du pouvoir.
- Voir ARCHEVEQUE BASILE (KRIVOCHEINE), « La IIIe Conférence panorthodoxe de Rhodes, 1-15 novembre 1964 », Messager de l’exarchat du patriarche russe en Europe occidentale, n° 51 (1965), p. 137-161.
- Mgr Philarète (Vakhroméïev, né en 1935), prélat et théologien orthodoxe russe. Évêque (1965), recteur de l’académie de théologie de Moscou (1966-1973), archevêque de Berlin et exarque patriarcal d’Europe centrale (1973-1978), métropolite (1975), président du Département des relations extérieures (1981-1989), métropolite de Minsk, exarque patriarcal de Biélorussie (depuis 1978).
- Mgr Élie (Gudushauri-Shiolashvili, né en 1933), prélat orthodoxe géorgien. Catholicos-patriarche de l’Église orthodoxe de Géorgie (depuis 1977).
- Les conciles de Constantinople de 1591 et 1593 reconnurent à l’Église russe le rang de patriarcat, et lui octroyèrent la cinquième place dans l’ordre des diptyques (listes de commémoration), autrement dit dans l’ordre protocolaire des Églises orthodoxes.
- Voir « Chapitre 2. L’année 1919 », n. 15.
- À l’époque, le père Vladimir Rodzianko relevait de l’Église de Serbie. Voir n. 59.
- Le patriarche Alexis Ier était issu d’une famille aristocratique, tout comme le père Rodzianko.
- Père Libère Voronov (1914-1995), prêtre et théologien orthodoxe russe, confesseur de la foi (prisonnier au goulag de 1944 à 1954), professeur à l’académie de théologie de Leningrad.
- Voir ARCHEVEQUE BASILE (KRIVOCHEINE), « La Commission inter-orthodoxe pour le dialogue avec les Anglicans, Belgrade, 1-15 septembre 1966 », Messager de l’exarchat du patriarche russe en Europe occidentale, n° 58 (1967), p. 74-106.
- Selon la législation soviétique, les mineurs d’âge n’avaient pas le droit de participer aux cérémonies religieuses en URSS.
- Willem Adolf Visser ‘t Hooft (1900-1985), pasteur et théologien réformé néerlandais, pionnier du mouvement œcuménique, premier secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (1948-66). Au moment où l’auteur le rencontre, il n’est plus secrétaire général, mais président honoraire du COE.
- La laure de Saint-Job de Potchaïev, célèbre monastère d’Ukraine occidentale, faillit être liquidée dans les années 1960. Les persécutions réduisirent le nombre de moines de 140 (1961) à 36 (1962), sans cependant réussir à obtenir la fermeture du monastère, en raison de la défense de celui-ci par les croyants. Voir n. 57.
- Citation approximative d’Alexandre Pouchkine. « Là est l’esprit de la Russie, là on sent l’odeur de la Russie. »
- Voir « Chapitre 3. Le concile de 1971 ».
- Le 30 mai 1972.
- Mgr Juvénal (Poïarkov, né en 1935), prélat orthodoxe russe. Évêque (1965), métropolite (1972), métropolite de Kroutitsy et Kolomna (depuis 1977), président du Département des relations extérieures (1972-81), président de la Commission synodale de canonisation (depuis 1995).
- Le 3 septembre 1974.
- Mgr Séraphim (Nikitine, 1905-1979), prélat orthodoxe russe. Évêque (1962), archevêque (1968), président du Département de l’intendance du patriarcat de Moscou (1970-74), métropolite de Kroutitsy et Kolomna (1971-77).
- METROPOLITE SERAPHIM (NIKITINE) DE KROUTITSY ET KOLOMNA, « Otschepentsu — prezreniye naroda [Au renégat, le mépris du peuple] », La Pravda, Moscou, 16 février 1974.
- Le 7 octobre 1963. Voir n. 19.
- Voir « Chapitre 1. Le métropolite Nicolas (Iarouchevitch) », n. 68.
- Journal russe (antisoviétique) de Paris.
- Messager de l’Action chrétienne des étudiants russes (en russe Vestnik R. Kh. D.), revue trimestrielle russe éditée à Paris et dont le rédacteur en chef est, depuis 1970, le professeur Nikita Struve.
- Voir « Chapitre 2. L’année 1919 ».
- ARCHEVEQUE BASILE (KRIVOCHEINE), « Otvet na interviou arkhiepiskopa Pitirima (Netchaeva) agentsvu Novosti [Réponse à l’interview de l’archevêque Pitirim (Netchaïev) à l’agence Novosti] », La Pensée russe, 30 janvier 1975.
- Mgr Pitirim (Netchaïev, 1926-2005), prélat orthodoxe russe. Évêque (1963), archevêque (1971), métropolite de Volokolamsk et Iouriev (1986). Président du Département éditorial du patriarcat de Moscou et rédacteur en chef du Journal du patriarcat de Moscou (1963-94).
- ARCHEVEQUE BASILE (KRIVOCHEINE), « Pamiyat’ episcopa ispovednika. mitropolit Alma-Atinskiy i Kazakhstanskiy Iossif (Tchernov) » [En mémoire d’un évêque-confesseur. le métropolite Joseph (Tchernov) d’Alma-Ata et du Kazakhstan], La Pensée russe, 13 novembre 1975, p. 14.
- Mgr Joseph (Tchernov, 1893-1975), prélat orthodoxe russe et confesseur de la foi. Évêque (1932), archevêque (1958), métropolite d’Alma-Ata et d’Asie centrale (1968).
- Finalement, Mgr Basile n’écrivit jamais sur son séjour au Mont Athos. Pour en avoir un aperçu, il faut se référer à sa correspondance. Voir Père Serge MODEL, « Mgr Basile et le Mont Athos », Messager de l’Église orthodoxe russe, op. cit., p. 16-20.
- Voir « Chapitre 1. Les journées de février 1917 à Petrograd ».
- La IXe assemblée générale du COE eut lieu à Nairobi (Kenya), du 23 novembre au 10 décembre 1975.
- Philip Potter (né en 1921), pasteur méthodiste, secrétaire général du Conseil Œcuménique des Églises (1972-84).
- ARCHEVEQUE BASILE (KRIVOCHEINE), « Posle Nairobi. Pism’o Dr. Potteru » [Après Nairobi. Lettre au Dr. Potter], Messager de l’ACER, n° 120 (1977), p. 313.
- « Potchemu Vy porvali s religiey ? Otkrytoe pis’mo byvchemu sviachenniku Darmanskomu po povodu ego statyi « Potchemu ya porval s religiey » [Pourquoi avez-vous rompu avec la religion ? Lettre ouverte à l’ex-prêtre Darmanski à propos de son article « Pourquoi j’ai rompu avec la religion »] », Messager de l’exarchat du patriarche russe en Europe occidentale, n°42-43 (1963), p. 164-171.
- Père Serge Jeloudkov (1909-1984), prêtre et théologien orthodoxe russe, défenseur des droits de l’homme et des droits des croyants en URSS (limogé en 1960).
- ARCHEVEQUE BASILE (KRIVOCHEINE), « Retsenziya. Roman Roessler, « Kirche und Revolution in Rusland. Patriarch Tikhon und der Sowjetstaat » (Köln, 1969) », Messager de l’exarchat du patriarche russe en Europe occidentale, n° 69 (1970), p. 69-78.
SUITE : « Mémoire des deux mondes » De la révolution à l’Église captive, 528 pages
Par Basile Krivochéine Les Éditions du CERF — 2010
Préface du Métropolite Hilarion (Alfeyev) de Volokolamsk, président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou — Traduction du russe de Nikita Krivochéine, Serge Model, Lydia Obolensky — Présentation, révision et notes de Serge Model
La seconde partie, les mémoires d’Église, débute trente années plus tard, quand le prêtre (1951), puis l’évêque (1959) commence à participer à plusieurs conciles et congrès internationaux. Sa position d’ « exilé » de l’Église russe fait de lui un observateur précis, parfois rude, voire critique, des instances orthodoxes, mais cet infatigable et dévoué serviteur de l’Église disait et écrivait immuablement ce qu’il pensait, quelles que soient les personnes mises en cause ou les circonstances.