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La doctrine ascétique et théologique de saint Grégoire Palamas

Notice (2)

Une partie considérable des œuvres de saint Grégoire Palamas reste à ce jour inédite. La publication de toutes ses œuvres (ainsi que de celles de ses disciples et de ses adversaires) représenterait un préliminaire nécessaire à la poursuite de l’étude de ses doctrines, de sa vie et de ses activités. Dans le présent travail (qui ne prétend nullement constituer une recherche exhaustive), nous avons pris en considération les textes suivants de saint Grégoire Palamas :

a) « Λόγος εἰς θαυμαστὸν καὶ ἰσάγγελον βίον τοῦ ὁσίου καὶ θεοφόρου πατρὸς ἡμῶν Πέτρου τοῦ ἐν Ἁγίῳ Ὄρει τῷ Ἄθῳ ἀσκήσαντος [Discours sur la vie admirable et angélique de notre père saint et théophore Pierre qui a accompli ses exploits à la sainte montagne de l’Athos] », Migne, coll. « Patrologia Graeca » (PG) n° 150, col. 996-1040.

b) « Περὶ προσευχῆς καί καθαρότητος καρδίας » [Sur la prière et la pureté du cœur] (Περὶ προσευχῆς), PG 150, col. 1117-1122.

c) « Πρός Ξένην μοναχήν » [Lettre à la moniale Xénée], PG 150, col. 1043-1088.

d) Extraits des écrits polémiques contre Barlaam. « Ὑπὲρ τῶν ἱερῶς ἡσυχαζόντων [Sur les saints hésychastes] », PG 150, col. 1101-1117; voir aussi Év. PORPHYRE (USPENSKIJ), Istorija Afona [Histoire du mont Athos], Saint-Pétersbourg, 1892, 3e partie, chap. II, p. XXVII-XLIV et p. 688-691.

e) Introduction au traité « Contre Akindynos », Operum Gregorii Palamae argumenta ex codicibus Coislianis, PG 150, col. 799-814.

f) « Ὁμιλίαι [Homélies] » (Ὁμιλ.), PG 151, col. 10-550.

g) « Τοῦ ἐν ἁγίοις πατρὸς ἡμῶν Γρηγορίου Ἀρχιεπίσκοπου Θεσσαλονίκης τοῦ Παλαμᾶ Ὁμιλίαι [Homélies de notre père parmi les saints Grégoire Palamas, archevêque de Thessalonique] », 22, Éd. Sophoclès Οikonomos, Athènes, 1861 (Ὁμιλ. Σοφ.).

h) « Θεοφάνης ἢ περὶ Θεότητος [Théophane, ou de la divinité] » (Θεοφ.), PG 150, col. 910–960.

i) « Κεφάλαια φυσικά, θεολογικά, ἠθικά τε καὶ πρακτικὰ 150 [150 chapitres physiques, théologiques, éthiques et pratiques] » (Κεφ.), PG 150, col. 1121-1225.

j) « Ὁμολογία τῆς Ὀρθοδόξου πίστεως [Confession de la foi orthodoxe] », PG 151, col. 763-768.

Nous avons aussi utilisé certains actes ecclésiastiques de l’époque de saint Grégoire composés avec son aide et exprimant sa doctrine :

— « Ἁγιορειτικός Τόμος ὑπὲρ τῶν ἱερῶς ἡσυχαζόντων [Tome hagioritique sur les saints hésychastes] », PG 150, col. 1225-1236.

— Actes des conciles de 1341-1352 (PG 151, col. 679-692, 717-762; PG 152, col. 1273-1284 et P. USPENSKIJ, op. cit., p. 728-737, 741-780, 780-785).

On trouvera la liste la plus complète des œuvres de saint Grégoire, publiées ou inédites, dans l’article du P. M. JUGIE dans le Dictionnaire de théologie catholique, Paris, Letouzey & Ané, t. XI, 1932: « Palamas », col. 1742-1750. Parmi les ouvrages relativement abondants (bien qu’insuffisants) concernant Grégoire Palamas, les suivants sont les plus intéressants :

— l’ouvrage le plus général et le plus substantiel sur saint Grégoire Palamas est. Grégoire PAPAMICHAÏL, Ὁ ἅγιος Γρηγόριος ὁ Παλαμᾶς, Ἀρχιεπίσκοπος Θεσσαλονίκης [Saint Grégoire Palamas, archevêque de Thessalonique], Alexandrie, 1911 (un livre très utile, mais Papamichaïl n’accorde pas assez d’attention à la doctrine de Grégoire Palamas) ;

— Ph. MEYER, Palamas, dans Realencyklopädie für Protestantische Theologie, vol. 3, 1904, p. 599-601;

— W. GASS, Ph. MEYER, Hesychasten, ibid., vol. 8, 1900, p. 14-18;

— J. BOIS, « Les débuts de la controverse hésychaste », Échos d’Orient, n° 5 (1902), p. 353-362; « Le Synode hésychaste de 1341 », ibid., n° 6 (1903), p. 50-60;

— G. OSTROGORSKY, Afonskiè isihasty i ih protivniki [Les hésychastes athonites et leurs adversaires], Notes de l’Institut scientifique russe de Belgrade, t. V, 1931, p. 349-370;

— Martin JUGIE, « Palamas, Grégoire », dans Dictionnaire de théologie catholique, loc. cit., col. 1735-1776; « Palamite (Controverse) », ibid., col. 1777-1818. Les articles de Jugie sont remarquables en raison de ses connaissances des sources de l’époque et du traitement philosophico-théologique du sujet.

D’autres ouvrages traitant plus particulièrement de la doctrine de saint Grégoire Palamas sont ceux de :

— K. F. RADCHENKO, Religioznoye i literaturnoye dvijeniye v Bolgarii v epohu pered turetskim zavojevaniyem [Le Mouvement religieux et littéraire en Bulgarie dans la période précédant la conquête turque], Kiev, 1898 — un ouvrage intéressant bien que l’auteur révèle, à l’occasion, une totale incompétence en tant que théologien ;

— Év. ALEXIS (DOBRYNITSYNE), « Vizantijskie tserkovnye mistiki XIV veka [Les mystiques de l’Église byzantine au XIVe siècle] », Pravoslavniy Sobesednik, Kazan, 1906.

— Sébastien GUICHARDON, Le problème de la simplicité divine en Orient et en Occident aux XIVe et XVe s.: Grégoire Palamas, Duns Scott, Georges Scholarios, Lyon, 1933 — l’auteur examine l’enseignement de saint Grégoire du point de vue de la philosophie thomiste. Une critique de ce livre. V. GRUMEL, « Grégoire Palamas, Duns Scott et Georges Scholarios devant le problème de la simplicité divine », Échos d’Orient, t. XXXVIII (1935), p. 84-96.

— M. JUGIE, De theologia palamitica, dans sa Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. II, Paris, 1933, p. 47-183 (JUGIE, Theol. Dogm.).

Un exposé plus détaillé des points essentiels de l’enseignement de saint Grégoire Palamas et des listes d’autres ouvrages seront donnés par la suite. La liste la plus complète de la littérature sur saint Grégoire Palamas et les hésychastes se trouve chez Papamichaïl. Certains suppléments se trouvent chez Jugie, Guichardon et Ostrogorsky. Théodore Uspenskij rend compte de façon intéressante de l’arrière-plan culturel et des courants intellectuels de l’époque dans son Otcherki po istorii vizantijskoy obrazovannosti [Essais sur l’histoire de la culture byzantine], Saint-Pétersbourg, 1891. Mais il ne traite pas de façon satisfaisante de la controverse hésychaste elle-même.

Enfin, des informations d’ordre plus général sur l’histoire byzantine de l’époque se trouvent chez A. A. VASSILIEV, Histoire de l’Empire Byzantin, Paris, 1932, vol. II, « La chute de Byzance » (p. 253-439).

Addendum

Moyennant quelques légères corrections, nous reproduisions ici l’article de Basile Krivochéine tel qu’il a paru en 1936. Cependant, la publication des œuvres de Grégoire Palamas, de même que les études à son sujet, se sont poursuivies depuis cette époque.

Ainsi, pratiquement tous les écrits de Grégoire Palamas ont été édités :

— Συγγράματα [Écrits], P. Chrestou (éd.), Thessalonique, 1962-1988, 4 tomes.

— Ἅπαντα τὰ ἔργα [Œuvres complètes], édité et traduit en grec moderne par P. Chrestou, Thessalonique, 1981-1987, 11 tomes.

Parmi les œuvres de Grégoire Palamas traduites en français, citons :

— Défense des saints hésychastes, introduction, texte critique, traduction et notes par J. Meyendorff, coll. « Spicilegium sacrum Lovaniense. études et documents », n° 30-31 (2 vol.), Louvain, 1959, 19732.

— Deux homélies sur la Transfiguration du Seigneur, dans Joie de la Transfiguration d’après les Pères d’Orient, Éd. Abbaye de Bellefontaine, coll. « Spiritualité Orientale », n° 39, 1985, p. 237-256.

— Douze homélies pour les fêtes, introduction et traduction de J. Cler, Paris, Éd. O. E. I. L./YMCA-Press, 1987.

— De la déification de l’être humain, traduit par M.-J. Monsaingeon et J. Paramelle, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1990.

— Traité apodictiques sur la procession du Saint Esprit, introd. par J.-C. Larchet, trad. et notes par E. Ponsoye, Paris-Suresnes, Éd. de l’Ancre, 1995.

— Lettre à la moniale Xénée, Décalogue, Sur les saints hésychastes, Sur la prière et la pureté du cœur, 150 chapitres physiques, théologiques, éthiques et pratiques, Tome hagioritique sur les saints hésychastes, dans Philocalie des Pères nêptiques. À l’école mystique de la prière intérieure, t. B, vol. 3: De Grégoire Palamas à Calliste et Ignace Xanthopouloi, introd., trad. et notes par J. Touraille, Éd. Abbaye de Bellefontaine, 2005, p. 435-541.

Parmi les recherches récentes sur le théologien hésychaste, le lecteur ne pourra négliger les travaux suivants :

— HALLEUX (de), A., « Palamisme et Scolastique. Exclusivisme dogmatique ou pluriformité théologique ? », Revue théologique de Louvain, n° 4 (1973), p. 409-442.

— HALLEUX (de), A., « Palamisme et Tradition », Irénikon, n° 48/4 (1975), p. 479-493.

— LISON, J., L’Esprit répandu. La pneumatologie de Grégoire Palamas, Paris, Éd. du Cerf, 1994.

— MEYENDORFF, J., Introduction à l’étude de Grégoire Palamas, Paris, Éd. du Seuil, 1959.

— MEYENDORFF, J., « Palamas (Grégoire) », dans Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, 1984, t. XII/I, col. 81-107.

— MEYENDORFF, J., Saint Grégoire Palamas et la mystique orthodoxe, Paris, Éd. du Seuil, 1959, 2002 (2).

***

I. La base ascético-gnoséologique de la doctrine de saint Grégoire Palamas

Qu’on la comprenne comme communion de l’homme avec Dieu ou comme perception de Dieu par l’homme, la vie religieuse peut être décrite comme relation mutuelle et interaction entre Dieu et l’homme, entre le Créateur et sa créature. C’est pourquoi, si l’on veut comprendre la doctrine de tout maître spirituel, dans le cas présent celle de saint Grégoire Palamas (1296 — 27 novembre 1359), il faut d’abord découvrir comment ce maître conçoit la possibilité d’une communion entre Dieu et l’homme, ce qu’il pense des moyens d’appréhender Dieu et de la capacité de l’homme pour une telle perception. C’est cela qui va constituer, pourrait-on dire, la base ascético-gnoséologique du système de théologie qui nous intéresse (3). Examinons donc les traits essentiels de cette partie de l’enseignement de saint Grégoire avant d’aborder ses doctrines proprement théologiques (4).

La question de la possibilité et des moyens d’appréhender Dieu occupe une place relativement importante dans l’œuvre de Grégoire Palamas. Mais il convient de noter dès l’abord qu’il commence par affirmer l’impossibilité de saisir Dieu par la raison et de l’exprimer par des mots. Cette idée que Dieu ne peut pas être rationnellement connu est liée à la doctrine de saint Grégoire sur la nature divine, mais nous nous bornerons ici à l’aspect gnoséologique de la question. Il n’y a, toutefois, rien de nouveau dans cette affirmation. Grégoire se situe — et cela est tout à fait caractéristique de l’orthodoxie orientale — au plan de la théologie apophatique, dans la droite ligne de la tradition de saint Grégoire de Nysse et de Denys l’Aréopagite. Comme eux, il souligne l’impossibilité de définir Dieu ou de l’exprimer par un nom quelconque. Ainsi, ayant dit de Dieu qu’il était un « abîme de grâce (5) », il apporte immédiatement un correctif. « mais plus justement celui qui contient même cet abîme, transcendant toute chose à laquelle on peut penser ou que l’on peut nommer (6) ». Une véritable connaissance de Dieu ne peut donc être atteinte ni par l’étude du monde créé visible, ni par l’activité intellectuelle de l’esprit humain. Les discours philosophiques ou théologiques les plus abstraits et les plus subtils eux-mêmes ne peuvent donner une véritable vision de Dieu ou la communion avec lui. « Même lorsque nous réfléchissons théologiquement ou philosophiquement à des questions tout a fait séparées de la matière », écrit saint Grégoire, « nous approchons la vérité mais nous restons cependant très éloignés de la vision de Dieu, et aussi étrangers à la communion avec lui que la possession est distincte de la connaissance. Parler de Dieu et communier avec lui [συντυγχάνειν] cela n’est pas la même chose (7). » Ceci explique son attitude à l’égard des différentes formes des disciplines scientifiques, qu’elles soient logiques ou empiriques ; il reconnaît leur valeur relative pour ce qui est de l’étude du monde créé, et dans ce domaine il justifie leurs méthodes — syllogismes, preuves logiques, exemples tirés du monde visible. Mais en ce qui concerne la connaissance de Dieu, il affirme leur insuffisance et pense même qu’elles ne doivent en aucun cas être utilisées (8).

Le fait que Dieu ne peut être rationnellement connu ne conduit cependant pas saint Grégoire à conclure qu’il est entièrement inconnaissable et inaccessible à l’homme. Il fonde la possibilité d’une communion de l’homme avec Dieu sur les propriétés de la nature humaine et sur la place de l’homme dans l’univers. Examinons donc d’un peu plus près l’enseignement de saint Grégoire sur l’homme. Son idée fondamentale, qui se retrouve souvent dans ses œuvres, est que l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et qu’il occupe dans l’univers une place centrale. L’homme, créé à l’image de Dieu et réunissant en lui-même (puisqu’il est composé d’une âme et d’un corps) les mondes matériel et immatériel, apparaît à saint Grégoire comme une sorte de monde en réduction, un microcosme qui reflète l’univers et l’unit en lui-même en un seul tout. Il écrit. « L’homme, ce monde plus vaste contenu dans un monde plus petit, concentre tout ce qui est en un tout complet et couronne la création de Dieu. C’est pourquoi il a été créé après tout le reste, de même que nous mettons une conclusion à la fin de nos paroles, car nous pouvons appeler cet univers l’œuvre de la Parole hypostatique (9). » Cet enseignement sur l’homme (dont les éléments se trouvent déjà chez Grégoire de Nysse) est développé par Grégoire Palamas en liaison avec le problème de la relation entre les natures angélique et humaine et celui de la valeur du corps humain. Contrairement à l’idée largement répandue selon laquelle l’ange, en tant que pur esprit, serait supérieur à l’homme, Grégoire enseigne que l’homme possède la ressemblance divine dans une plus grande mesure que l’ange. Il écrit. « Bien que les anges soient supérieurs à nous à beaucoup d’égards, […] ils sont cependant en dessous de nous à certains […], [c’est-à-dire] que nous avons été créés à la ressemblance de Dieu dans une plus grande mesure (10). » Le fait que l’homme possède une plus étroite ressemblance avec Dieu se manifeste premièrement en ce que, alors que les anges se bornent à exécuter les ordres de Dieu, l’homme, en tant précisément qu’être terrestre et psycho-physique, est destiné à être le seigneur de toute la création et à régner sur elle. « Alors que les anges sont nommés pour servir le créateur, et ont pour seule mission d’être sous autorité (il ne leur est pas donné de régner sur des êtres inférieurs, sauf lorsqu’ils sont envoyés pour ce faire par le Sauveur de toutes choses), l’homme, lui, est destiné non seulement à être gouverné, mais à gouverner tout ce qui est sur la terre (11). » Cette idée (de l’homme doué d’une ressemblance divine à un degré plus élevé) est encore développée dans l’enseignement concernant le corps humain et sa signification dans la vie spirituelle de l’homme. Il faut noter que Grégoire Palamas était violemment hostile à la théorie selon laquelle le corps, en tant que tel, est un principe mauvais et la source du péché. Une telle opinion lui semblait être une calomnie à l’égard de Dieu, le créateur du corps, et provenir d’une dépréciation manichéenne, dualiste, de la matière. Il composa même un curieux dialogue, rédigé en un style éblouissant (12) contre la spiritualité manichéenne, unilatérale, selon laquelle l’âme serait conduite au péché par le corps et que ses rapports avec le corps seraient la cause de l’état de péché de l’âme. Dans ce dialogue, il soutient avec force que le corps, comme l’âme, a été créé par Dieu et que l’homme n’est pas seulement esprit, mais l’union du corps et de l’esprit. « L’homme n’est pas seulement une âme, ni seulement un corps, mais les deux ensemble, créés à la ressemblance de Dieu (13). » Nous rencontrons souvent dans l’œuvre de Grégoire Palamas cette idée. le corps aussi bien que l’âme reflète l’image divine, ce qui rejoint son point de vue que l’homme, précisément parce qu’il a un corps, est plus véritablement marqué du sceau de la ressemblance divine que les natures angéliques purement spirituelles ; il est plus proche de Dieu (en tant que créature, qu’intention divine), bien qu’ayant perdu cette ressemblance après la chute et étant en ce sens tombé plus bas que les anges. Le fait même de posséder un corps permet à l’homme de communier avec Dieu d’une manière qui est impossible aux anges. « Quel ange pourrait imiter la passion et la mort du Seigneur comme l’homme l’a fait (14) », demande saint Grégoire. Il écrit encore. « La nature angélique est pourvue de l’intelligence ainsi que de la parole qui procède de cette intelligence et qu’on peut appeler esprit, mais cet esprit ne donne pas la vie puisqu’il n’a pas été joint à un corps et n’a donc pas reçu le pouvoir de donner la vie et de la maintenir. Mais l’âme, créée avec un corps matériel, a reçu de Dieu cette faculté de donner la vie et, étant seule à être douée d’intelligence [νοῦν], d’une parole [λόγον] et du pouvoir de donner la vie, seule, plus que les anges, elle est créée à l’image de Dieu (15). » Certes, l’image divine est considérée ici non dans le corps lui-même, mais dans l’esprit donateur de la vie qui appartient à l’homme ; mais loin d’être un obstacle, le corps offre même l’occasion à cet esprit de se manifester, alors que les anges, en tant qu’êtres incorporels, sont dépourvus de cet esprit. Dans ce sens, la ressemblance divine n’a pas été perdue même après la chute. « Après le péché de nos ancêtres, nous avons cessé d’être comme Dieu ; mais nous n’avons pas cessé de refléter l’image de Dieu (16). » En règle générale, il « convient aux hérétiques » de voir un principe mauvais dans le corps ; « ils disent que le corps est mauvais et création du malin (17) », mais pour les orthodoxes ce corps est « le temple du Saint Esprit » et la « demeure de Dieu (18) ». Ainsi pouvons-nous comprendre, selon Grégoire Palamas, comment le corps, sous l’influence de l’âme, peut être « spirituellement disposé » (19), et comment l’impassibilité elle-même n’est pas simple mise à mort des passions physiques, mais constitue une « nouvelle et meilleure énergie » du corps (20) ; d’une manière générale, le corps participe à la vie surnaturelle de l’âme non seulement après la résurrection, mais dès à présent. « Si le corps doit alors partager la richesse infinie de l’âme, il ne fait aucun doute qu’il peut y participer dès maintenant et qu’il aura l’expérience du Divin ; mais les passions de l’âme doivent d’abord être changées et sanctifiées sans être pour autant détruites (21). »

De plus, il faut noter, dans le contexte de la doctrine de saint Grégoire sur l’homme, le rôle qu’il accorde au cœur dans la vie intellectuelle et spirituelle. Il considère le cœur comme le centre de la vie spirituelle de l’homme, comme l’organe utilisé par l’esprit pour contrôler le corps et même comme la source et le soutien de l’activité intellectuelle de l’homme (22). « Nous savons de façon certaine que le cœur est l’organe de la pensée ; nous l’avons appris non de l’homme mais du créateur de l’homme qui dit dans l’Évangile. « les pensées procèdent du cœur » ; le cœur est donc le « trésor des pensées (23) » et en même temps le centre du corps (24). »

L’enseignement selon lequel l’homme est à la ressemblance de Dieu et manifeste cette ressemblante divine dans toute sa personnalité psycho-physique, qu’il est une sorte de microcosme, explique comment une communion réelle est possible entre lui et Dieu, et comment on peut atteindre une connaissance de lui plus profonde que celle qui vient de la seule activité intellectuelle ou de l’étude du monde extérieur. En fait, en partant lui-même du principe de la ressemblance divine dans l’homme, saint Grégoire affirme que l’homme peut atteindre la communion avec Dieu avant tout en observant ses commandements ; ce faisant, il restaure et révèle l’image divine contenue en lui, image qui a été obscurcie par le péché, et s’approche ainsi de l’union à Dieu et de la connaissance de Dieu dans la mesure où il en est capable, lui qui est une créature. Cette voie (celle de l’observation des commandements) doit être suivie par tous et peut, en bref, être décrite comme l’amour de Dieu et du prochain. L’idée que les commandements ont une valeur universelle et que tous les hommes sont tenus de les observer, est le point central de tout l’enseignement ascétique de Grégoire (il a même écrit un commentaire des dix commandements (25)). Il considère cela à tel point évident qu’il omet souvent de le répéter expressément en certaines parties de son enseignement sur les voies de la vie intérieure. Mais dans son interprétation des commandements et de la manière dont on doit les observer, saint Grégoire, comme tous les penseurs les plus profonds de l’Église orthodoxe, accorde une importance primordiale non à l’action extérieure, ni non plus à l’acquisition de telle ou telle vertu, mais à la purification intérieure des passions. Pour atteindre à cette pureté du cœur nous devons nous engager sur la voie du repentir et de l’humilité, manifestant ainsi notre haine du péché et notre amour pour le Seigneur qui nous a aimés. « Revêtons-nous des œuvres du repentir, des humbles pensées, de l’humilité et de la tristesse spirituelle, de la douceur d’un cœur plein de miséricorde, aimant la vérité et recherchant la pureté […] car le royaume de Dieu — non, plutôt le roi du ciel — […] est au-dedans de nous et nous devons nous attacher à lui par les œuvres de pénitence, en l’aimant autant que nous le pouvons, lui qui nous a tant aimés (26). »

Pour saint Grégoire, un moyen plus efficace de purification intérieure ainsi qu’une expression plus vive de notre amour pour Dieu et notre prochain se trouve pourtant dans la prière (jointe, bien entendu, au reste de l’activité intérieure de l’homme, et généralement à toute sa vie). La prière est pour lui plus élevée que la pratique de quelque vertu que ce soit. Reconnaissant que l’union avec Dieu peut se réaliser soit par la communion dans la vertu (27) ou par la communion dans la prière (28), Grégoire attache plus d’importance à la prière et affirme que c’est seulement par sa puissance que la créature peut réellement s’unir à son Créateur. « La force de la prière accomplit mystérieusement cette union, étant le lien entre la créature raisonnable et Dieu (29). » Plus loin, saint Grégoire, comme Denys l’Aréopagite, parle d’une opération trine de l’esprit par laquelle il monte vers Dieu. Dans le même traité sur la prière, on lit. « Lorsque l’un de l’esprit devient trois en restant un, alors l’esprit entre en communion avec la divinité trine (30). » Cette action trine consiste en ceci. l’esprit, qui d’ordinaire contemple les objets extérieurs (1re opération), rentre en lui-même (2e opération) et s’élève vers Dieu par la prière (3e opération). « L’un de l’esprit devient trois tout en restant un lorsque l’esprit retourne en lui-même et de là s’élève vers Dieu (31). »

Ces deux dernières opérations sont aussi appelées « enroulement » (comme on enroule un parchemin) et « étirement vers le haut (32) ». On explique que le fait pour l’esprit de se tourner, de revenir à lui-même, est ce qui le préserve, alors que sa montée vers Dieu se réalise par la prière (33). Dans cet état, l’esprit humain « atteint l’inouï » et « goûte au monde à venir (34) ». Mais il ne faut pas attacher trop d’importance à l’illumination qui est atteinte au début car elle peut être trompeuse, dans la mesure où elle ne s’accompagne pas d’une complète purification de l’âme. Il nous faut nous limiter au début de la vie ascétique à la vision de l’état de péché de notre propre cœur qui nous est révélé par cette illumination de l’esprit. Mais la purification complète de l’être humain ne peut être réalisée que lorsque chacune des puissances de l’âme a reçu le remède spirituel approprié. Ainsi, « c’est seulement en purifiant sa [puissance] active par les œuvres, sa [puissance] cognitive par la connaissance et sa [puissance] contemplative par la prière (35) » que l’homme peut atteindre la pureté nécessaire à la connaissance de Dieu. « Personne ne peut y atteindre sauf par la perfection des œuvres, la persévérance [dans la voie ascétique], par la contemplation et la prière contemplative (36). » De même, il faut savoir qu’il est nécessaire et spirituellement fécond pour l’esprit non seulement d’arriver à cette opération trine, mais de se maintenir et de persévérer longtemps dans cette activité qui produit un certain « sens intellectuel [αἴσθησις νοερά] (37) ». En même temps, saint Grégoire insiste sur la nécessité de garder constamment l’esprit dans les limites du corps. À l’appui de cette règle ascétique, il cite la phrase bien connue de saint Jean Climaque. « Le silencieux est celui qui aspire à circonscrire l’incorporel (l’esprit) dans une demeure corporelle (38). » Comme lui, il voit dans cette inhabitation de l’esprit dans le corps le trait essentiel du véritable hésychaste. D’autre part, l’esprit, demeurant hors du corps, lui apparaît être la cause de toutes les illusions. « L’envoi de l’esprit hors du corps pour chercher à l’extérieur des visions intellectuelles est la plus grande des illusions hellénistiques, la racine et la source de toute fausse pensée (39). » Saint Grégoire conçoit que sa doctrine sur la garde de l’esprit dans le corps, et même sur son « envoi » dans ce corps, peut soulever des objections de la part de ceux qui pensent qu’une telle tâche est inutile et même impossible, puisque l’esprit, étant par nature uni à l’âme qui réside dans le corps, s’y trouve donc déjà sans la coopération de notre volonté. Mais Grégoire explique qu’il s’agit ici d’une confusion entre l’essence de l’esprit et son activité (40). Par essence, l’esprit est, bien entendu, joint au corps, mais la tâche de l’hésychaste est aussi de diriger son activité en ce sens.

Cette manière de garder l’esprit par la prière nécessite toutefois beaucoup d’efforts, de concentration et de labeur. Saint Grégoire écrit. « L’exercice de toute autre vertu est léger et très facile en comparaison avec celui-ci (41). » Nous voyons combien sont dans l’erreur ceux qui voient dans la prière mentale des hésychastes une tentative de trouver une voie de facilité vers le salut, d’éviter de pratiquer les vertus et arriver, pour ainsi dire, à un état d’enthousiasme mystique (42), « à peu de frais et mécaniquement ». En réalité, il ne peut être question d’une voie aisée, et Grégoire montre que la prière mentale est la voie la plus dure, la plus étroite et la plus douloureuse vers le salut, mais celle qui conduit aux niveaux les plus élevés de la perfection spirituelle, à condition que la pratique de la prière soit en harmonie avec tout le reste de l’activité de l’homme (cette condition absolue du succès de la prière révèle bien qu’il n’y a en elle rien de « mécanique »). C’est pourquoi, bien que conseillant cette voie à tous ceux qui désirent être sauvés, étant persuadé qu’elle est accessible à tous, Grégoire souligne que seule la vie monastique, éloignée comme elle l’est du monde, offre les conditions qui lui sont favorables. « Il est, bien sûr, possible à ceux qui vivent dans l’état de mariage, d’œuvrer pour atteindre cette pureté, mais seulement au prix de très grandes épreuves (43). »

Nous avons délibérément accordé une large place aux idées de Grégoire Palamas sur la signification du cœur et du corps dans la vie spirituelle de l’homme de façon générale (idées qui se trouvent déjà chez les auteurs ascétiques antérieurs, mais que saint Grégoire développe avec plus de clarté et d’une manière systématiquement philosophique qui est très caractéristique) parce que cela permet de comprendre plus aisément la signification véritable de l’aspect le plus original de sa doctrine ascétique, celui qui traite de la prière mentale prétendument « artistique (44) » et de ses méthodes. Il n’existe pour ainsi dire pas de témoignages sur les méthodes de la prière artistique chez les anciens Pères, bien que l’on puisse en trouver des indications assez tôt chez Jean Climaque (VI-VIIe s.) (45) ou Hésychius du Sinaï (VII-VIIIe s.) (46). La description la plus complète se trouve dans le Traité sur les trois modes de la prière de Syméon le Nouveau Théologien (début du XIe s.) (47), chez Nicéphore le Moine (env. XIIIe siècle) (48) et chez saint Grégoire le Sinaïte (XIIIe s.) (49). On peut expliquer le silence des premiers Pères à ce sujet de différentes manières (que ces méthodes aient ou non existé, ou qu’elles aient été le sujet d’une instruction personnelle directe des anciens aux disciples, et n’ont donc pas été mises par écrit jusqu’à ce que — avec la disparition graduelle des anciens — apparût le danger de les voir oubliées et qu’alors elles furent mises par écrit par ceux qui en avaient fait l’expérience (50)), mais une chose est claire. ces méthodes étaient assez largement répandues dans l’Orient orthodoxe et faisaient partie de la tradition ascétique longtemps avant Grégoire Palamas et les hésychastes du mont Athos du XIVe siècle. Il est fort peu probable, aussi bien du point de vue historique que du point de vue religio-psychologique, que ces méthodes aient été l’"invention" individuelle de quelque personne privée et probablement presque contemporaine de saint Grégoire (comme certains ont pu le penser (51)). Pour ce qui est de l’incompréhension quant à leur signification, si fréquente même parmi les érudits orthodoxies (52), elle provient principalement du fait que ce qui constitue en réalité des opérations secondaires et accessoires a été pris pour la partie essentielle de cette sorte de prière (53). Là aussi nous devons nous souvenir que ces auteurs ascétiques qui traitaient de la prière artistique ne tentèrent pas de donner dans un tel ou tel ouvrage un exposé exhaustif de la doctrine ascétique orthodoxe dans sa totalité, mais qu’ils se sont habituellement bornés à en présenter certaines parties qui n’avaient pas été suffisamment expliquées par d’autres ou qui, pour une raison quelconque, soulevaient des questions. En tout cas, ce serait une erreur d’imaginer que de telles règles particulières (en l’occurrence celles de la prière artistique) pouvaient assumer à leur yeux la place de la totalité de l’enseignement ascétique de l’Église. En réalité, ils tenaient pour généralement connu cet enseignement qui forme un tout harmonieux, et ils ne pensaient pas qu’il était nécessaire de s’y référer continuellement lorsqu’ils traitaient de la question particulière qui les intéressait (54). Enfin, il faut se souvenir que les contradictions apparentes entre tel ou tel traité sur l’ascétisme sont souvent dues au fait qu’ils ont été écrits pour des personnes se trouvant à différents niveaux de développement spirituel.

Passons maintenant de ces remarques générales à l’enseignement même de saint Grégoire Palamas sur les méthodes de la prière artistique. Il faut cependant noter qu’il n’en donne nulle part un exposé détaillé tel qu’on le trouve dans les œuvres de ses prédécesseurs (saint Syméon le Nouveau Théologien, Nicéphore le Moine ou Grégoire le Sinaïte). Cela ne lui semblait probablement pas nécessaire étant donné que cet enseignement était à l’époque largement connu dans les milieux monastiques. On trouve cependant, chez saint Grégoire, une défense ascético-philosophique brillante, des plus intéressantes, de quelques-unes de ces méthodes. L’occasion immédiate de la rédaction de cette défense fut l’attaque lancée contre les hésychastes athonites par Barlaam qui, en raison de l’intérêt porté par ces hésychastes à la prière mentale, les appela omphalo-psychiques, c’est-à-dire gens censés enseigner que l’âme est située dans l’estomac. Mais, bien que rendue nécessaire par les besoins de l’époque, l’œuvre apologétique de saint Grégoire a acquis un intérêt propre par rapport au reste de ses positions sur l’ascétisme. Cette défense repose sur l’idée, déjà évoquée, selon laquelle puisque le corps n’est pas en soi mauvais mais a été créé par Dieu pour être le temple de l’Esprit qui demeure en nous, il est tout à fait naturel d’avoir recours à son aide d’une manière accessoire pour faciliter l’œuvre de la prière. De ces méthodes subsidiaires en rapport avec la nature physique de l’homme, Grégoire examine plus spécialement les deux suivantes. 1) le lien entre la prière et la respiration (ἀναπνοή — plus exactement l’inspiration) qui aide à garder l’esprit à l’intérieur et à l’unir au cœur ; 2) l’attitude corporelle particulière adoptée pendant la prière (τὸ ἔξω σχῆμα) (55), qui est généralement la position assise, la tête inclinée et les yeux dirigés vers la poitrine ou plus bas même jusqu’à l’estomac (56).

Pour ce qui est de la première méthode fondée sur la respiration (57), saint Grégoire enseigne que son rôle est tout à fait secondaire. elle est destinée à aider l’homme (surtout le débutant) à garder son esprit à l’intérieur, sans distraction, dans la région du cœur qui occupe, on le sait, une place centrale dans toute sa vie spirituelle. L’utilité d’établir une telle relation entre la respiration et la prière afin d’arriver à la concentration peut être contestée. Notons, toutefois, qu’il ne semble en théorie y avoir là rien d’impossible ; cela semble même tout à fait vraisemblable en vue des rapports entre phénomènes physiques et phénomènes psychiques, rapports que nous connaissons dans la vie de tous les jours et qui sont confirmés par la psychologie. Quant à ce qui se passe réellement, cela ne peut être connu que par l’expérience dans là prière. Saint Grégoire le souligne. « Pourquoi continuer à parler de cela, s’exclame-t-il, ceux qui en ont eu l’expérience ne rient-ils pas de ceux qui contredisent par inexpérience ? Car le critère en cela n’est pas la parole, mais l’œuvre, et l’expérience acquise par l’œuvre (58). » Ainsi, en s’appuyant sur cette expérience qui est aussi bien celle de la personne que celle de l’Église, Grégoire soutient qu’"il n’est pas inutile, surtout lorsqu’il s’agit de débutants, de leur enseigner à regarder en eux-mêmes et d’envoyer leur esprit vers l’intérieur par la respiration (59)« . Sinon, l’esprit du débutant ira continuellement errer à l’extérieur et sera distrait, enlevant de ce fait sa fécondité à la prière. Il est donc recommandé de lier la prière à la respiration, surtout au début, tant que l’hésychaste n’est pas encore fermement enraciné par la grâce de Dieu dans le recueillement et la contemplation divine ; en d’autres termes, « jusqu’à ce que, avec l’aide de Dieu, il se soit perfectionné en ce qui est meilleur et, gardant son esprit fixé immuablement en soi et détaché de tout, il puisse le rassembler parfaitement en un tout (60) » (ἑνοιδῆ συνέλεξιν — terminologie de Denys l’Aréopagite). Ayant atteint cet état de recueillement, le silencieux s’y maintient facilement par la grâce de Dieu, mais l’atteindre exige grand labeur et patience comme preuve et conséquence de notre amour de Dieu. « Aucun débutant, écrit saint Grégoire, ne peut réaliser ces choses sans labeur (61). » Mais chez ceux qui sont avancés et « dont l’âme est parfaitement retirée en elle-même, tout cela arrive nécessairement sans labeur ni souci (62) ». Ce qui vient d’être dit devrait suffire pour expliquer l’attitude de Grégoire à l’égard de la « méthode de respiration » dans la prière.

Notons enfin pour conclure. 1) que cette méthode n’est pas une obligation pour tous ceux qui souhaiteraient atteindre la perfection dans la prière, mais qu’elle est seulement recommandée et cela surtout aux débutants ; 2) Grégoire souligne que cette méthode est entièrement accessoire ; elle est destinée à faciliter le recueillement ; 3) le succès de la prière dépend en dernier ressort de Dieu (σὺν Θεῷ ἐπί τῷ χρεῖττον προϊόντες), et non pas seulement de nos efforts ; 4) nos efforts manifestent notre amour de Dieu ; 5) cette méthode de prière est très ardue.

Une autre méthode de prière artistique, qui a été qualifiée d’"omphaloscopie« , est traitée par saint Grégoire relativement plus longuement. Comme nous l’avons déjà dit, cette méthode fut attaquée et raillée par Barlaam et ses partisans avec animosité. Ces attaques continuent aujourd’hui encore. on accuse les hésychastes de faire de la prière mentale uniquement une contemplation de l’estomac (« omphaloscopie ») et de croire que l’âme de l’homme se situe dans l’estomac (d’où le nom ironique d’"omphaloscopes" inventé par Barlaam et utilisé par Léo Allatius (63)). Mais si nous laissons de côté ces polémiques et examinons la question objectivement, nous nous apercevons qu’"omphaloscopie" avait un sens tout à fait différent dans la pratique du monachisme oriental. Premièrement, il serait difficile d’y voir un élément essentiel de la prière mentale, ne serait-ce que parce que cette pratique n’est que rarement mentionnée dans les écrits ascétiques. Sauf erreur, l’omphaloscopie n’est mentionnée, en dehors de Grégoire Palamas, que par Syméon le Nouveau Théologien dans son Traité sur les trois méthodes de prière (64). Ni Nicéphore le Moine, ni saint Grégoire le Sinaïte, qui ont étudié de façon détaillée la méthode respiratoire, ne la mentionnent. Néanmoins, l’omphaloscopie était certainement pratiquée par les ascètes de l’époque en tant que méthode accessoire de prière et c’est pourquoi Grégoire Palamas jugea nécessaire de la défendre contre les attaques de Barlaam. Cette défense reposait sur les mêmes conceptions fondamentales que celles qui sous-tendent son apologie de la méthode de « respiration » (bien que les arguments soient développés assez différemment). L’idée centrale est encore celle du rapport entre le psychique et le physique, et de l’importance de ce lien pour concentrer et maintenir l’attention. Il écrit. « Compte tenu du fait que, depuis la chute, il est naturel que l’homme intérieur corresponde en tout point aux formes extérieures, il ne peut être que très utile pour celui qui veut se recueillir, qu’au lieu de laisser aller son regard ici et là ; il le pose comme sur une sorte de support sur la poitrine ou l’estomac (65). » Ce texte exprime avec justesse la véritable signification de l’omphaloscopie, il montre que le but est le recueillement et que garder son regard fixé sur un point (plutôt que de le laisser errer) est un moyen servant à cette fin. Notons l’expression « utile » (συντελέσειε), qui montre clairement qu’une importance secondaire — et non primordiale — est attachée à cette méthode ; de même le fait de garder le regard fixé sur l’estomac ne vient qu’après les mots « sur la poitrine », ce qui indique bien qu’il s’agit d’une alternative. Il faut également noter que, pour Grégoire Palamas, en dehors de la direction du regard, la position du corps, penchée et humble, est significative ; en priant ainsi, l’homme s’identifie au moins extérieurement au publicain qui n’osait pas lever les yeux, ou au prophète Élie qui, en priant, posait la tête sur les genoux (66). De même, il y a dans cette posture quelque chose qui correspond au mouvement cyclique de l’esprit dont parle Denys l’Aréopagite (67). En vue de tout cela, la « forme extérieure » (τὸ ἔξω σχῆμα), c’est-à-dire la position adoptée pendant la prière, paraît à saint Grégoire, selon son expérience, utile non seulement aux débutants, mais aussi à ceux qui sont plus avancés ; il écrit. « Sans parler des débutants, certains, même parmi les plus avancés, en utilisant cette forme de prière ont été entendus de Dieu (68). » (Notons « certains » [τῶν τελειωτέρων οἱ], donc pas tous). Interprétant ainsi la signification de la prière artistique, Grégoire réfute la fable ridicule répandue par Barlaam, prétendant que selon les hésychastes l’estomac était le siège de l’âme. Écrivant contre les barlaamites qui surnommaient les hésychastes « omphalo-psychiques », il dit. « [Cette appellation] est évidemment une calomnie, car quel est celui qui parmi [les hésychastes] a jamais prétendu que l’âme ait été dans l’estomac (69) ? »

Tel est, succinctement, l’enseignement de Grégoire Palamas sur les méthodes de la prière mentale « artistique ». Dans certains textes écrits pour la défense des moines du mont Athos, ces méthodes sont exposées longuement, alors que dans d’autres, d’un caractère ascétique et moral plus général (par exemple les épîtres à la moniale Xénia, les homélies, etc.), il n’en est pas question du tout. Nous pensons que, si saint Grégoire a accordé tant d’attention à la description et à la défense d’une telle sorte de prière, ce fut en réponse à des attaques faites à l’époque par les adversaires de la vie contemplative. Il était nécessaire de défendre la vérité et de combattre les déformations tendancieuses et caricaturales.

Mais les écrits de Grégoire Palamas sur la prière ascétique ont une valeur propre indépendamment des besoins du moment ; on y trouve pour la première fois dans la littérature ascétique un exposé théologique et psychologique systématique de ces méthodes qui sans aucun doute avaient été pratiquées bien avant lui.

Ces œuvres apologétiques sont parmi les contributions les plus originales de Grégoire Palamas à la littérature ascétique orthodoxe. Ce serait toutefois une grave erreur de penser que pour saint Grégoire ces méthodes — accessoires, bien que fort utiles — constituent l’essence et le contenu principal de la prière mentale. Ce n’est pas telle ou telle action ascétique mais « l’élévation de l’esprit vers Dieu et sa relation avec lui » que Grégoire et tous les autres mystiques orthodoxes au cours de l’histoire ont considéré être le but et le contenu de toute vraie prière spirituelle (70). L’union de l’esprit avec Dieu était pour Grégoire le fondement et le sommet de la vie spirituelle de l’homme tout entière, et sa rupture lui paraissait être la cause de toutes ses chutes. Il écrit avec une vigueur caractéristique. « L’esprit qui s’est séparé de Dieu devient soit bestial, soit satanique (71). »

Dans cet état d’union directe avec le créateur, quand notre esprit sort du cadre de nos activités habituelles et reste, pour ainsi dire, hors de lui-même, l’homme atteint la véritable connaissance de Dieu, « cette inconnaissance qui est au-dessus de toute connaissance. En comparaison de cette inconnaissance, toute notre philosophie et toutes nos connaissances ordinaires, à partir de la compréhension du monde créé, se révèlent insuffisantes et partielles. » Il écrit. « Il est véritablement impossible d’être uni à Dieu (Θεῷ συγγενέσθαι), à moins que, après nous être purifiés, nous nous trouvions hors — ou plutôt au-dessus — de nous-mêmes, ayant abandonné tout ce qui appartient au monde sensible, et nous être élevés au-dessus des idées, des raisonnements et même de toute connaissance, et même au-dessus de la raison elle-même. Nous serions alors entièrement sous l’influence de l’intellect, ayant alors atteint cette ignorance qui est au-dessus de toute connaissance et, ce qui revient au même, au-dessus de toute espèce de philosophie (72). » Cet état spirituel supérieur, lorsqu’un homme se sépare de tout ce qui est créé et changeant, et, s’unissant à la divinité, est illuminé par la lumière de Dieu, est appelé par saint Grégoire « silence » ou hésychia. Il écrit. « Le silence signifie l’arrêt [des activités] de l’esprit et [le détachement] du monde, l’oubli de ce qui est au-dessous, la connaissance secrète de ce qui est au-dessus, le remplacement des pensées par ce qui est meilleur qu’elles ; c’est cela l’activité véritable, l’élévation à la vraie contemplation et à la vision de Dieu […], cela seul est le signe d’une âme saine, car toute autre vertu n’est qu’un remède pour guérir l’infirmité de l’âme […], alors que la contemplation est le fruit de l’âme saine […], par elle l’homme est déifié, non en s’élevant à partir de la raison ou du monde visible ou par le jeu des conjectures de l’analogie, […] mais en s’élevant par le silence […], car par ce moyen on entre dans un certain sens en relation avec la nature inaccessible et bénie [de Dieu]. Et ainsi, ayant purifié nos cœurs par le saint silence et étant mêlés de manière ineffable à la lumière qui dépasse toute sensation et toute pensée, nous voyons Dieu en nous-mêmes comme dans un miroir (73). »

Cet enseignement sur le saint silence, en tant qu’état le plus élevé de l’âme et que moyen pour atteindre la connaissance de Dieu et l’union avec lui, a été exposé de la façon la plus éclatante par saint Grégoire dans sa remarquable « Homélie sur la Présentation de la sainte Mère de Dieu au temple (74) », que nous avons déjà citée à plusieurs reprises. Selon Grégoire, la toute bénie Vierge Marie, demeurant dès l’âge de trois ans seule avec Dieu dans le temple, se consacrant à la prière perpétuelle et à la méditation, séparée de l’humanité et du monde, réalisa en elle-même le saint silence et la prière mentale de la manière la plus haute et la plus parfaite. Il écrit. « L’esprit de la Mère de Dieu s’unit à Dieu par le recueillement, l’attention et la prière divine incessante […]. En s’élevant au-dessus des pensées multiformes et au-dessus de toute image. Elle ouvre une voie nouvelle, inouïe, vers le ciel […], le silence mental [νοητὴν σιγήν] […]. Elle voit la gloire de Dieu et contemple la grâce divine sans être le moins du monde soumise au pouvoir des sensations, tout en étant elle-même un objet sacré digne d’amour pour les esprits et les âmes non corrompus (75). » En outre, saint Grégoire lie l’incarnation elle-même au fait que la Mère de Dieu est ainsi entrée dans la voie de la prière silencieuse dès la tendre enfance. « Elle seule de toute l’humanité fut ainsi surnaturellement silencieuse dès la petite enfance ; elle seule a mérité de concevoir de manière immaculée l’humanité divine du Verbe (76) » En la personne de la Mère de Dieu donc, le silence non seulement trouve sa réalisation et sa justification les plus saintes, mais manifeste la grandeur de son pouvoir à unir l’homme à Dieu (77).

En conclusion de notre exposé sur l’enseignement ascético-gnoséologique de saint Grégoire Palamas, nous voudrions souligner les points suivants. Premièrement, l’importance qu’il accorde au rôle du corps dans l’œuvre nécessaire pour conduire l’homme à la connaissance de Dieu et l’union avec lui. Cette conception de l’homme comme un tout s’exprime de façon frappante dans l’enseignement de saint Grégoire sur la ressemblance divine que, plus que les anges, l’homme possède et qui se reflète dans tout son être psycho-physique. Dans le domaine de l’ascétisme, cette idée se trouve exprimée dans la doctrine sur la coopération du corps dans la vie spirituelle, son aptitude à être illuminé par la divinité et être uni à elle en une seule opération contemplative qui englobe l’homme tout entier. Du point de vue gnoséologique, saint Grégoire oppose la cognition intellectuelle partielle, qui est inutile pour connaître Dieu, à une connaissance supra-rationnelle accessible à l’homme lorsque tout son être a été illuminé et a atteint l’union avec Dieu. Cette idée que l’être humain tout entier participe à la connaissance divine est caractéristique de l’enseignement de Grégoire. Un autre trait typique est l’association qu’il fait entre l’idée d’une divinité incompréhensible et inaccessible et celle de la possibilité d’union avec Dieu par la grâce et la vision directe de lui. Nous trouvons ici, pour la première fois dans le domaine de l’ascétisme et de la gnoséologie, l’antinomisme qui est si caractéristique de Grégoire Palamas. Nous tenterons de faire une analyse plus poussée de cet aspect de son enseignement dans les chapitres suivants consacrés à ses conceptions plus purement théologiques. Nous nous contenterons de signaler ici que la contradiction apparente chez Grégoire entre son idée de Dieu et les moyens de le connaître n’est pas un cas isolé dans la littérature patristique orientale. Celui qui est le plus proche de lui à cet égard est saint Grégoire de Nysse. rares sont les saints Pères qui ont insisté autant que lui sur la nature incompréhensible et inexprimable de Dieu, et cependant fort peu nombreux sont ceux qui ont étudié théologiquement, avec une telle profondeur, sa nature incompréhensible…


  1. Publié originellement (en russe) dans Seminarium Kondakovianum. Recueil d’études. Archéologie, Histoire de l’Art. Études byzantines, t. VIII (1936), Prague, p. 99-154, et repris dans le Messager de l’exarchat du patriarche russe en Europe occidentale, n° 115 (1987), p. 109-174 — trad. fr. dans le Messager de l’exarchat, ibid., p. 45-108 (texte de référence).
  2. Dans l’édition originelle, cette Notice constituait la note 1 (NdR).
  3. L’enseignement ascétique et théologique de saint Grégoire Palamas est, en un certain sens, relié au courant spirituel du monachisme oriental connu comme « hésychasme ». Nous pensons qu’il est donc nécessaire d’en dire quelques mots. Par hésychasme, ou silence, on désigne généralement le courant de vie spirituelle parmi les moines orthodoxes orientaux entièrement dirigé vers la pure contemplation et l’union avec Dieu dans la prière. Ce courant, qui atteignit son développement le plus élevé durant le cours de la vie de saint Grégoire Palamas, était alors centré sur le mont Athos et ses moines. Il ne faut toutefois pas penser que l’hésychasme du mont Athos au XIVe s. représentait un phénomène tout à fait nouveau dans l’histoire du monachisme oriental, car depuis les temps les plus anciens (depuis les origines mêmes du monachisme en Égypte au III-IVe s.) il avait existé, parallèlement aux communautés monastiques qui étaient alors florissantes (et dont l’idéal s’exprime de la manière la plus frappante dans la Règle de saint Basile le Grand et dans les œuvres de saint Théodore Studite), une tendance, plus contemplative, à la prière pure et au silence. Cela est attesté non seulement par les nombreuses Vies de saints dans toute l’histoire de l’Église, mais aussi par des écrits ascétiques de tendance hésychaste qui sont parvenus jusqu’à nous comme ceux des saints Antoine le Grand, Évagre le Pontique, Macaire d’Égypte (IVe s.), Nil du Sinaï, Marc l’Ascète et le bienheureux Diadoque (Ve s.), Isaac le Syrien (VIe s.), Hésychius et Philothée du Sinaï (VII-IXe s.). En outre, par saint Syméon le Nouveau Théologien, Nicétas Stétathos (XIe s.) et Nicéphore le Moine (XIIIe s.), cette tradition conduit aux hésychastes du mont Athos (XIVe s.), saint Grégoire le Sinaïte († 1346) et saint Grégoire Palamas. Mais il serait faux de penser que les traditions cénobitiques et érémitiques sont opposées les unes aux autres et représentent des voies tout à fait différentes dans la vie spirituelle. Ce point de vue est exprimé par le P. Irénée HAUSHERR, s. j., dans La Méthode de l’oraison hésychaste (Orientalia christiana, t. IX-2, 1927) et Un grand mystique byzantin. Vie de Syméon le Nouveau Théologien (Orient. christ., t. XII, 1928). La vie communautaire et le « silence » ne s’excluent pas mutuellement, cela est attesté par les écrits de l’auteur ascétique saint Jean Climaque (VI-VIIe s.) chez lequel nous trouvons une combinaison harmonieuse des deux idéaux ; on le sait, certains chapitres de son Échelle du Paradis décrivent une vie communautaire fondée sur l’obéissance et l’abandon de la volonté propre, alors qu’une autre partie (les plus hauts degrés) traite de la voie du silence et de la contemplation. L’unité du livre n’en souffre nullement. On peut dire la même chose de l’œuvre des saints Barsanuphe et Jean de Gaza (VIe s.). Généralement parlant, la vie communautaire et le silence sont considérés dans la littérature ascétique (comme dans les écrits hagiographiques) non comme opposés l’un à l’autre et mutuellement exclusifs, mais comme des degrés qui correspondent au progrès spirituel du moine ou à son tempérament. Le silence a presque toujours été considéré comme le type de vie le plus élevé. Finalement, la vie érémitique est habituellement comprise plus comme un détachement intérieur que comme un habitat purement « géographique » hors du territoire du monastère dans le désert. Rappelons que le plus éminent représentant de la vie contemplative et mystique de l’Église byzantine — Syméon le Nouveau Théologien (949-1022) — passa presque toute sa vie dans des communautés monastiques. La plus grande partie de ses écrits ascétiques est adressée à des moines vivant en communauté, elle a cependant été rédigée dans un esprit « hésychaste ». La combinaison harmonieuse des tendances communautaires et hésychastes est le résultat naturel de l’unité organique de la vie spirituelle de l’orthodoxie, dont l’enseignement ascétique est très étroitement lié au dogme et possède une très forte unité intérieure, en dépit de la diversité de l’expression extérieure. Cependant dans l’histoire du monachisme orthodoxe, il y a eu des périodes où l’une ou l’autre tendance a prédominé. On peut dire, en général, que lorsqu’un esprit de communauté s’est développé aux dépens de l’hésychasme (en raison surtout du développement des grands monastères) cela a amené un affaiblissement de la vie spirituelle du monachisme et à l’absorption dans des intérêts extérieurs souvent purement domestiques. Un renouveau spirituel se manifestait habituellement avec le retour à la vie intérieure, à l’esprit de silence et de contemplation, le rétablissement de l’ « hésychasme ». Au mont Athos, un tel retour vers la vie contemplative (qui fut pendant un certain temps presque entièrement perdue) fut l’œuvre de Grégoire le Sinaïte, bien qu’avant lui il y ait eu des contemplatifs éminents comme Nicéphore le Moine. La vie de Grégoire le Sinaïte contient une description magnifique de ses activités au mont Athos (voir I. POMIALOVSKI (éd.), Βίος καὶ πολιτεία τοῦ ἐν ἁγίοις πατρὸς ἡμῶν Γρηγορίου τοῦ Σιναίτου [Vie et Œuvre de notre père parmi les saints Grégoire le Sinaïte], Saint-Pétersbourg, 1894).
  4. Naturellement, dans la plupart des cas ces éléments gnoséologiques se trouvent un peu partout dans les œuvres des saints Pères (dans ce cas celles de saint Grégoire Palamas). Ceci est dû au fait que les auteurs religieux avaient généralement un but pratique d’édification et s’ils entraient dans des discussions purement abstraites, ce n’était que pour réfuter tes attaques des hérétiques. En conséquence, toute tentative pour systématiser leur « gnoséologie » devient en quelque sorte « stylisation ». Finalement, le terme de « gnoséologie » est utilisé par nous de manière assez lâche (il désigne pour nous tout ce qui est en relation avec la connaissance, plus exactement la connaissance de Dieu et de ses voies).
  5. « ἄβυσσος χρηστότητος », Περὶ προσευχῆς, PG 150, col. 1117 B.
  6. Ibid.
  7. Ὁμιλ. Σοφ. σελ., 169, 170.
  8. Ibid.
  9. Ὁμιλ. Σοφ. σελ., 172.
  10. Κεφ., PG 150, col. 1152 BC (κεφ. 43).
  11. Κεφ., PG 150, col. 1152 C (κεφ. 44).
  12. Nous pensions à ses « Προσωποποιϊαι… τίνας ἄν εἷποι λόγους ἡ μὲν, ψυχὴ κατὰ σώματος, δικαζομένη μετ’ αὐτοῦ ἐν δικασταῖς, τὸ δέ σῶμα κατ’ αὐτῆς καὶ τῶν δικαστῶν ὀπόφασις » (PG 150, col. 1347-1372). L’authenticité de cet ouvrage est contestée par le P. Jugie à cause de l’article paru en 1915 dans la Revue Byzantine (vol. 1, p. 103, 109). Ne disposant pas de cet article, nous ne pouvons nous former une opinion concluante. Ce qui est certain, toutefois, c’est que les idées contenues dans le dialogue (en dépit de certaines particularités verbales) sont en accord avec l’enseignement de saint Grégoire sur l’homme, l’âme et te corps, la nature du mal, etc. Voir M. JUGIE, Palamas, col. 1749.
  13. PG 150, col. 1361 C.
  14. Ibid., PG 150, col. 1370 B.
  15. Κεφ., PG 150, col. 1145 D-1148 B (κεφ. 38-39).
  16. Κεφ., PG 150, col. 1148 B (κεφ. 39).
  17. Ὑπὲρ τῶν ἱερῶς ἡσυχαζόντων (PG 150, col. 1104 B).
  18. Ibid., PG 150, col. 1104 AB.
  19. Ἁγ. Τομ., PG 150, col. 1233 BD.
  20. Dans le même Tomos de la Sainte Montagne, on trouve une discussion sur l’opinion de Barlaam qui comprenait l’impassibilité uniquement comme la mise à mort des passions. « τὴν τοῦ παθητικού καθ’ ἕξιν νέκρωσιν ἀπάθειαν φησί, ἀλλά μὴ τὴν ἐπί τὰ κρείττω καθ’ ἕξιν ἐνέργειαν » (Ἁγ. Τομ., PG 150, col. 1233 B).
  21. Ἁγ. Τομ., PG 150, col. 1233 C.
  22. Ὑπὲρ τῶν ἱερῶς ἡσυχαζόντων (PG 150, col. 1105 C).
  23. Ibid., PG 150, col. 1105 D.
  24. Ibid., PG 150, col. 1108 A. En ce qui concerne le cœur comme centre, voir B. VYCHESLAVTSEV, Serdtse v hristianskoy i indijskoy mistike [Le cœur dans la mystique chrétienne et hindoue], Paris, 1929, p. 12-14 s.
  25. « Δεκάλογος τῆς κατὰ Χριστὸν νομοθεσίας ἢτοι τῆς Νέας Διαθήκης », PG 150, col. 1089-1101. Dans cette œuvre, saint Grégoire parle des commandements de l’Ancien Testament à la lumière de la révélation évangélique.
  26. Κεφ., PG 150, col. 1161 D (κεφ., 57).
  27. « τῇ κοινωνία τῶν ὁμοίων ἀρετῶν », Περὶ προσευχῆς, PG 150, col. 1117 B.
  28. « τῇ κοινωνίᾳ τῆς κατὰ τῆν εὐχὴν πρὸς τὸν Θεὸν δεήσεώς τε καὶ ἐνώσεώς », ibid.
  29. Ibid.
  30. Περὶ προσευχῆς, PG 150, col. 1117 C.
  31. Περὶ προσευχῆς, PG 150, col. 1120 A.
  32. Ibid.
  33. Ibid.
  34. Ibid.
  35. Περὶ προσευχῆς, PG 150, col. 1121 A.
  36. Ibid.
  37. PG 150, col. 1120 A.
  38. « ἡσυχαστῆς ἐστιν ὁ τὸ ἀσώματον ἐν σώματι περιορίζειν σπέυδων », Ὑπὲρ τῶν ἱερῶς ἡσυχαζόντων (PG 150, col. 1109 B). Cette citation, prise dans le 27e degré de L’Échelle de Jean Climaque, n’est pas donnée littéralement, mais correctement quant à la signification (voir PG 88, col. 1097 B).
  39. Ὑπὲρ τῶν ἱερῶς ἡσυχαζόντων, PG 150, col. 1108 C.
  40. « ἀγνοοῦσί … ὅτι ἄλλο μέν οὐσία νόος, ἄλλο δὲ ἐνέργεια », PG 150, col. 1108 CD.
  41. PG 150, col. 1180 CB.
  42. De telles opinions sur la prière hésychaste peuvent se trouver chez M. JUGIE, « Les origines de la méthode d’oraison des hésychastes », dans Échos d’Orient, t. XXX, 1931, p. 179-185, et chez I. HAUSHERR, « La Méthode d’oraison hésychaste », dans Orient. christ., vol. 9-2, 1927. M. Jugie appelle la méthode de prière hésychaste « un procédé mécanique [pour arriver] à bon compte [à l’enthousiasme] » (loc. cit., p. 179).
  43. PG 150, col. 1056 A.
  44. « Ἐπιστημονική », qu’Hausherr traduit par. « scientifique » (loc. cit., p. 110). En fait, ce mot signifie bien « scientifique » en grec moderne, mais il nous semble que le terme accepté dans les traductions en slavon d’église (et, de là, en russe). « artistique », exprime mieux le sens que les auteurs ascétiques y ont mis.
  45. « Λόγος, 27. Περὶ τῆς ἱερᾶς σώματος καὶ ψυχῆς ἡσυχίας », PG 88, col. 1096-1117; « Λόγος 28. Περὶ τῆς ἱερᾶς προσευχῆς », PG 88, col. 1129-1140.
  46. « Λόγος πρὸς Θεόδουλον… περὶ νήψεως καὶ ἀρετῆς », PG 93, col. 1480-1544.
  47. Μέθοδος τῆς ἱερᾶς προσευχῆς καὶ προσοχῆς. Le texte grec authentique de cet ouvrage, qui occupe une place très importante dans la littérature ascétique orthodoxe, a été publié en premier lieu par Hausherr dans sa Méthode, p. 150-172. Jusque-là seule la version en grec moderne était connue (voir Φιλοκαλία, Venise, 1782, p. 1178-1185).
  48. « Τοῦ ὁσίου πατρὸς ἡμῶν Νικηφόρου Μοναχοῦ λόγος περὶ νήψεως καὶ φυλακῆς καρδίας », PG 147, col. 945-966. En ce qui concerne les dates de la vie de l’évêque Nicéphore, il existe diverses versions. selon certains (Φιλοκαλία, p. 867), il aurait été le maître de saint Grégoire Palamas (sa Vie ne le confirme pas), selon d’autres, il serait du XIIe ou du XIIIe s. (M. JUGIE, « Les origines de la méthode… », p. 179-185). Nous le plaçons dans la seconde moitié du XIIIes. Dans le cinquième traité contre Barlaam, Grégoire Palamas mentionne que Nicéphore le Moine a souffert pour la foi orthodoxe pendant les persécutions après la clôture de l’Union de Lyon par Michel Paléologue (1274) (voir P. USPENSKIJ, Istorija Afona [Histoire du mont Athos], Saint-Pétersbourg, 1892, 3e partie, chap. II, p. 111 et 634). Par conséquent, Nicéphore n’aurait guère pu être le maître de Grégoire Palamas, ce que l’on peut d’ailleurs conclure également du second traité contre Barlaam par Grégoire Palamas, dans lequel il cite Nicéphore parmi les saints anciens et non parmi les Pères qu’il avait personnellement connus. voir Ὑπὲρ τῶν ἱερῶς ἡσυχαζόντων (PG 150, col. 1116 C), voir à ce propos M. JUGIE, op. cit.
  49. Περὶ τῆς ἀναπνοῆς, PG 150, col. 1316 C-1317 A ; Περὶ τοῦ πῶς δεῖ καθέζεσθαι, PG 150, col. 1329 A-1333 A.
  50. L’évêque Ignace (Briantchaninov) partage cette opinion dans ses ouvrages ascétiques remarquables ; ils sont inestimables pour la compréhension de l’enseignement des saints Pères sur la prière mentale (voir les premier, cinquième et surtout le second volume de ses œuvres).
  51. C’est ce que soutient Hausherr dans La Méthode, et surtout dans son article « Note sur l’inventeur de la méthode d’oraison hésychaste » (Orient. chr., t. XX, 1930, p. 179-182). Hausherr prétend (et cela, sans preuves suffisantes, pensons-nous) que Syméon le Nouveau Théologien n’est pas l’auteur du Traité sur les trois méthodes de prière, qu’il attribue à Nicéphore le Moine, le situant à l’époque de Grégoire Palamas et le considérant comme « l’inventeur » de la prière artistique. Jugie critique ces déclarations non fondées dans « Les origines… ». Le P. Jugie prouve de façon convaincante que le Traité sur les trois méthodes, même s’il n’a pas été écrit par Syméon lui-même, lui est en tout cas certainement contemporain (et non à Grégoire Palamas).
  52. Un exemple en est fourni par l’article de Grégoire NEDETOVSKIJ, « Varlaamitskaia erez’ [L’hérésie barlaamite] », Travaux de l’Académie de théologie de Kiev, 1872, p. 317-357. Voici comment il décrit la prière artistique mentale. « Des formes d’exercices religieux existaient en Orient, tellement hideuses qu’il est triste de penser que l’homme peut à ce point être induit en erreur par une imagination désordonnée. Ainsi un certain Syméon, supérieur du monastère de Xérocercos, a inventé une méthode de prière très étrange » (p. 329-330, note). Suit une citation sur les méthodes de prière (selon Léo Allatius). Nedetovsky ne soupçonnait même pas que le Syméon de (Saint-Mamas de) Xérocercos qu’il mentionne n’est autre que saint Syméon le Nouveau Théologien qui est si hautement honoré dans l’Église orthodoxe et qui est l’un des plus grands mystiques orientaux. L’évêque Alexis (Dobrynitsine), suivant Nedetovsky dans cette affaire, considère que Syméon de Xérocercos était un ancien — dont Barlaam fut le disciple lorsqu’il séjourna au mont Athos pour étudier la vie monastique ! (voir son article « Vizantijskie tserkovnye mistiki XIV veka [Les mystiques de l’Église byzantine au XIVe s.] », dans Pravoslavni Sobesednik, Kazan, 1906, p. 105, note). Il est curieux que Nedetovsky présente la prière artistique comme le fruit d’une imagination désordonnée, alors qu’en réalité ce qui distingue cette prière est son rejet des images, des fantaisies et, en général, de toute « envolée de l’esprit ».
  53. Cette erreur est faite par Hausherr. Dans La Méthode, il confond souvent les méthodes de la prière mentale avec son essence. Il écrit, au sujet de la prière mentale. «  En résumé donc, deux exercices composent la méthode. la recherche du lieu du cœur, qui a valu aux hésychastes le nom d’ « omphalo-psychiques » et la répétition ininterrompue de la « prière de Jésus ». Moyennant quoi on arrivera à voir « ce qu’on ne savait pas », c’est-à-dire en termes théologiques, selon Palamas, « la lumière du Thabor »… » (op. cit., III). Ailleurs, dans le même ouvrage, examinant les méthodes extérieures plus en détail — l’omphaloscopie, le rythme de respiration, etc. —, il maintient que selon les hésychastes « moyennant persévérance dans cette oraison mentale, on finira par trouver ce qu’on cherchait, le lieu du cœur et, avec lui et en lui, toutes sortes de merveilles et de connaissances » (ibid., p. 102). En bref, arriver à des états spirituels élevés semble pour Hausherr (dans son interprétation de la « prière hésychaste ») être le résultat inévitable (« on finira par trouver ») de la persévérance dans l’exercice de la prière mentale, et non pas fruit de l’union intérieure de l’homme avec Dieu et la libre action de la grâce divine, ainsi que cela était en réalité enseigné par tous ceux qui pratiquaient cette prière.
  54. À notre avis, c’est parce qu’ils n’ont pas réussi à voir la prière artistique comme une partie organique de l’enseignement ascétique général de l’Église que Jugie, Hausherr et les autres croyaient que les hésychastes substituaient à la voie difficile de la garde des commandements, la voie facile, et « mécanique », de la prière. En réalité cependant, la prière n’avait jamais été séparée des commandements, la mettre en opposition avec les commandements est, en soi, une erreur puisqu’elle n’est pas autre chose que l’accomplissement des lois fondamentales de l’amour envers Dieu et les hommes.
  55. Ὑπὲρ τῶν ἱερῶς ἡσυχαζόντων, PG 150, col. 1112 B.
  56. Ibid., PG 150, col. 1112 C.
  57. Saint Grégoire parle des méthodes de respiration dans le même traité Ὑπὲρ τῶν ἱερῶς ἡσυχαζόντων. Cette question a indirectement été examinée par le concile de 1341.
  58. Ὑπὲρ τῶν ἱερῶς ἡσυχαζόντων, PG 150, col. 1112 B.
  59. PG 150, col. 1109 B.
  60. PG 150, col. 1109 D.
  61. PG 150, col. 1112 A.
  62. Ibid.
  63. L’appellation ὀμφαλοψύχοι ou umbilicanimi est utilisée à l’égard des hésychastes par Léo ALLATIUS dans son De Ecclesia Occidentatis et Orientalis perpetua concensione (PG 150, col. 898 D).
  64. HAUSHERR, La Méthode, p. 164; voir aussi PG 150, col. 899 AB (chez ALLATIUS).
  65. PG 150, col. 1112 B.
  66. PG 150, col. 1113 CD.
  67. PG 150, col. 1109 A.
  68. PG 150, col. 1113 C.
  69. PG 150, col. 1116 A.
  70. « πνευματικὴ… ἄϋλος προσευχὴ… ὁμιλία ἐστι νοῦ πρὸς Θεὸν… συνομιλεῖν μηδενὸς μεσιτεύοντος… ἀνάβασις νοῦ πρὸς Θεὸν… » (PG 79, col. 1169 CD-1173 D-1181 AD). Ces remarquables définitions de l’essence de la prière mentale sont empruntées au traité sur la prière de l’un des plus grands auteurs ascétiques de l’Antiquité, saint Nil le Sinaïte (Ve s.) ; elles conviennent très bien pour exprimer l’enseignement de Grégoire Palamas.
  71. Ὁμιλ. Σοφ., p. 114.
  72. Homélie sur l’entrée au Temple de la sainte Mère de Dieu, Ὁμιλ. Σοφ. σελ., p. 169-170.
  73. Ὁμιλ. Σοφ. σελ., p. 170-171.
  74. Cette homélie est publiée dans Ὁμιλ. Σοφ., p. 131-180.
  75. Ὁμιλ. Σοφ. σελ., p. 176.
  76. Ὁμιλ. Σοφ. σελ., p. 171.
  77. Un thème semblable se retrouve dans le Discours sur la vie admirable de saint Pierre l’Athonite de Grégoire Palamas. Ce texte est une apologie vivante et brillante de la voie « hésychaste » du salut. Que cette voie soit agréable à Dieu est prouvé par les miracles accomplis par saint Pierre du mont Athos — un hésychaste par excellence. Selon ce traité, toute condamnation de l’hésychasme en faveur d’une vie plus active est inspirée par l’ennemi de notre salut. On sait que Grégoire Palamas n’est pas l’auteur de la Vie de saint Pierre l’Athonite, qui a vécu bien ayant lui. Il n’a fait que lui donner une forme plus littéraire et lui donner aussi un « style » hésychaste (sans toutefois apporter de changements notables). Voir le texte original de la Vie (composé probablement au IXe s.) chez Kirsopp LAKE, The Early Days of Monasticism of Mount Athos, Oxford, 1909, p. 18-39.

Suite « Dieu, l’homme, l’Église » Lecture des Pères Par Basile Krivochéine Les Éditions du « CERF » Paru en. Décembre 2010, 302 pages

Préface du Métropolite Hilarion (Alfeyev) de Volokolamsk, président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou — Traduction du russe de Nikita Krivochéine, Paula et Jacques Minet, Serge Model, Lydia Obolensky — Présentation, révision et notes de Serge Model

C’est en 1936 que le jeune frère Basile, du monastère Saint-Pantéléimon au mont Athos, se fait connaître de la communauté scientifique en publiant « La doctrine ascétique et théologique de saint Grégoire Palamas », premier d’une longue série d’articles et de recherches. Après être passé par l’étude de Grégoire de Nysse, de Basile le Grand et de tant d’autres, Mgr Krivochéine édite ainsi successivement les « Catéchèses » de saint Syméon le Nouveau Théologien, dans la collection des « Sources chrétiennes », puis une biographie fondamentale du mystique byzantin. À une époque où l’on commence à peine à redécouvrir les trésors du patrimoine des Pères de l’Église, il bénéficie du fonds exceptionnel que met à sa disposition la « république monastique ». Le présent volume regroupe la majeure partie des études patristiques et spirituelles de l’« évêque cultivé idéal » (l’expression est d’Alexandre Schmemann), dont on a pu dire que la « vraie patrie, ici sur terre, était la foi des Pères »…